Une équipe internationale de chercheurs met à mal l’idée selon laquelle l’humanité manquera bientôt de certains minerais. Selon la vaste étude [1] de Lluis Fontboté de l’Université de Genève et ses cinq collègues d’autres universités, les ressources* géologiques de la plupart des minéraux sont nettement plus élevées que les réserves* connues sur lesquelles se basent les estimations.
Le problème est que l’exploration, mais surtout le progrès des techniques d’extraction rendent économiquement exploitables des ressources qui n’ont pas été comptabilisées comme réserves car elles n’étaient pas rentables précédemment. Par exemple l'USGS a estimé les réserves de lithium à 13.8 millions de tonnes (MT) en 2009, et à 39.5 MT en 2016, le triple 7 ans plus tard !
Même le fameux pic du pétrole est remis en question par les auteurs : les données de production (en rouge dans le graphique ci-dessous) montrent clairement que le maximum de production prévu pour 2000 par Hubbert en 1956 (en bleu) est complètement faux, et la réactualisation récente affirmant que le pic a été atteint en 2008 (en vert) semble infirmée par les dernières valeurs de production.
L’article se concentre sur le cuivre car c’est un métal pour lequel la demande (chinoise et indienne principalement) a augmenté plus vite que les capacités de production (dans les Andes notamment) et que le recyclage, entraînant une hausse des prix spectaculaire ces dernières années. Les auteurs, mais aussi d’autres avant eux [3], montrent que la formation des gisements de cuivre rend très vraisemblable qu’il en reste pour plusieurs millénaires de consommation actuelle rien que dans les Andes.
Mais l’article mentionne aussi d’autres minerais, allant du fer et l’aluminium aux terres rares en passant par l’uranium, et selon les auteurs les réserves de toutes ces substances sont suffisantes pour faire face à l’augmentation considérable de la demande attendue ce siècle. Pour eux, il faut surtout veiller à ce que l’exploitation de ces ressources ne se fasse pas trop au détriment de l’environnement, puisqu’il ne faut pas s’attendre à ce que l’industrie minière s’arrête toute seule…
En passant, la lecture des références m’a rappelé deux choses:
- la possibilité technique d’extraire de l’Uranium de l’eau, de mer ou du Rhône. Pour l’instant ça coûte 5x plus cher que de l’extraire d’une mine, mais il y en a pour des milliers d’années …
- en écrivant cet autre article, j’avais découvert que beaucoup de « terres rares »** se trouvent dans la monazite, le minerai du thorium ! On n’en sort pas …
Bon, pour une fois voilà à quoi ressemble un « scoop » sur drgoulu.com : basé sur un communiqué de presse lu hier (qui sera copié/collé sans autres par de nombreux media), j’ai trouvé et lu les 4 références, un peu réfléchi, écrit cet article vite fait, et programmé sa parution pour 1 minute après la fin de l’embargo !
Notes:
* la distinction entre « ressource » et « réserve » est importante. La « réserve » est le stock de minerai connu et économiquement exploitable à un moment donné. La « ressource » est le stock non encore découvert ou pas encore exploitable.
** On devrait plutôt les appeler lanthanides car les « terres rares » ne sont pas rares, mais plutôt diluées, en faible concentration.
Références:
- [altmetric doi= »10.7185/geochempersp.6.1″ float= »right »]Arndt, N. T., Fontboté, L., Hedenquist, J. W., Kesler, S. E., Thompson, J. F. H., & Wood, D. G. (2017). Future Global Mineral Resources. Geochemical Perspectives, 2017, 6(1) DOI:10.7185/geochempersp.6.1 (pdf 28Mb, 184 pages)
- Pierre-Alexandre Salier et Lluis Fontboté « Epuisement des ressources minières: aux sources du mythe », 21 juillet 2009, Le Temps (pdf )
- Alain Cheilletz « Y a-t-il vraiment un risque d’épuisement des ressources ? » SPS n° 305, juillet 2013
- « Ressources minérales – la pénurie n’était qu’un mythe« , 27 avril 2017, Communiqué de presse Université de Genève
16 commentaires sur “Combien reste-t-il de ressources minières ? Beaucoup.”
Article repris par Contrepoints : https://www.contrepoints.org/2017/07/06/294094-combien-reste-t-de-ressources-minieres-beaucoup
I read some articles on this site and I think your blog is really interesting and has great information. Thank you for your sharing.
html color
Je veux bien croire qu’il y ait encore beaucoup de minerais disponibles mais sous quel forme? va-t-il falloir aller l’extraire atome par atome? va-t-il falloir retourner chaque m^3 de la croute terrestre, filtrer chaque m^3 d’eau pour y avoir accès?
Même si le travail paraît titanesque, je pourrais dire « pourquoi pas? » mais quel sera le prix écologique et environnemental d’une telle stratégie? D’ailleurs est-ce que ce cout est réellement estimable? Travaillant dans l’évaluation environnementale et vu le nombre d’interactions (connues mais également inconnues à l’heure actuelle) des écosystèmes, j’ai de sérieux doutes sur la pertinence globale à long terme de ce type d’évaluation.
L’évolution des méthodes d’extraction permettra* d’exploiter des ressources qui n’étaient économiquement pas rentables précédemment, mais pas forcément en aggravant le coût environnemental. Il y a par exemple la Biolixiviation qui semble plutôt réduire ce coût.
C’est d’ailleurs ce qui s’est passé historiquement. Un exemple que je connais personnellement est celui du Mont Chemin, au dessus de Martigny, Suisse. (voir http://www.sentier-des-mines.ch/ ) On y trouve des mines de fer, de plomb et d’argent qui ont été exploitées depuis 556 jusqu’en 1948. On y trouve aussi de très nombreux restes de bas fourneaux qui servaient à un premier raffinage grossier du minerai puisqu’il n’y avait encore ni haut fourneaux ni trains. Selon l’archéologue qui nous a fait visiter le site, la magnifique forêt qui couvre toute la montagne avait été rasée au Moyen-Age pour alimenter ces fourneaux en bois, et la contamination du sol en plomb dépasse par endroits les normes actuelles 500 ans après l’exploitation… Depuis le Mont Chemin aujourd’hui on peut voir des usines d’aluminium qui utilisaient de l’électricité hydro-électrique (renouvelable…) mais dégageaient du fluor. Elles ont fermé au profit d’usines plus modernes au Brésil ou en Islande, où le fluor est désormais capté.
Un autre aspect abordé dans l’article est qu’on ne sait pas vraiment à quel rythme les ressources minières se renouvellent. Car elles se renouvellent ! La croûte terrestre est renouvelée par des minéraux remontant du manteau, tandis que l’érosion ramène de la poudre de croûte dans le manteau via les zones de subduction. Entre deux, des phénomènes naturels tels que les placers re-concentrent des minéraux dans les couches géologiques. Je ne prétends pas que toutes les ressources sont « durables », juste qu’elles se renouvellent à une cadence dont on ne tient pas compte. En y réfléchissant, je me rappelle d’un exemple spectaculairement rapide : les gisements de soufre dans certains volcans actifs d’Indonésie. Exploités dans des conditions terribles, ils se renouvellent sous nos yeux quasiment en temps réel…
On a trop tendance à penser que le second principe de la thermodynamique condamne les matériaux à se dissoudre inexorablement. La Terre n’est pas un « système fermé » : elle reçoit une énorme énergie du Soleil et de sa radioactivité naturelle, et cet apport d’énergie compense l’augmentation de l’entropie, du moins partiellement.
L’énergie est donc un facteur clé. Je suis des rares qui pensent que la société durable va* consommer PLUS d’énergie par habitant : le recyclage demandera de l’énergie, la dessalinisation de l’eau (qui est une forme de recyclage) aussi, et le transport des ressources depuis les sites où leur production sera la plus propre ne nécessitera pas forcément moins d’énergie que leur transport actuel depuis les sites où elle est le meilleur marché…
A l’extrême oui, quand on aura* beaucoup d’énergie très bon marché, on pourra* extraire et trier les minéraux atome par atome, et même isotope par isotope. On l’a même déjà fait ! Dans un contexte très particulier il est vrai, mais l’histoire du Calutron vaut son pesant de cacahuètes…
* notez le futur. j’aime pas le conditionnel 😉
Bonjour Dr. Goulu,
Que pensez vous des thèses de Jean-Marc Jancovici (https://www.youtube.com/watch?v=o7805tvS9hc) ou de Philippe Bihouix (https://www.youtube.com/watch?v=i03kd_diDDk)?
Repousser les pics d’extraction est-il vraiment souhaitable? Le vrai défi ne serait-il pas de rationaliser notre rapport à l’énergie abondante et bon marché pour qu’elle le soit encore pour nos descendants?
Étant agronome de métier, je trouve leurs idées intéressantes et logiques, Cependant dès que ces deux auteurs parlent de mon domaine d’expertise je trouve leurs arguments assez légers et fleurtant parfois avec une idéologie pseudo-scientifique et technophobe. Quel regarde portent les professionnels de la physique et de l’énergie sur ces thèses « décroissantistes » qui nous promettent un futur pour le moins angoissant?
Merci!
Un agro anonyme
Je pense beaucoup de bien de Jancovici ( https://drgoulu.com/2009/02/15/manicore/ ) , de son approche quantitative, et je lui suis très reconnaissant de m’avoir fait découvrir la très importante équation de Kaya que je mentionne dans plusieurs articles ( https://drgoulu.com/tag/equation-de-kaya/ ) Pour décrire la situation actuelle, il est parfait.
Mais « la prédiction est un art bien difficile, surtout en ce qui concerne l’avenir », comme on dit. Et c’est là que, comme vous peut-être, j’ai des doutes sur son scénario « décroissance » , surtout après avoir lu son livre « C’est maintenant: 3 ans pour sauver le monde » de 2009. Grâce à vous je remarque que j’avais promis il y a 5 ans d’y consacrer un article (dans https://drgoulu.com/2012/08/12/divers-d-ete/ ) et je ne l’ai pas fait…
L’équation de Kaya a été formulée pour le CO2, mais on peut l’utiliser de manière plus générale pour l’impact de l’activité humaine, et me permet aussi de classer différent scénarios pour l’avenir.
Les scénarios de décroissance considèrent que les ressources (TEP) sont finies et que la population (POP) sera de l’ordre de 10 milliards à la fin du siècle, et donc proposent de réduire le PIB.
Je pense que les moyens existent et existeront d’accéder à beaucoup plus d’énergie bon marché ( https://drgoulu.com/2009/05/02/pourquoi-seulement-2000-watts/ ). Ca permettra d’accéder à beaucoup plus de ressources, et de recycler nos déchets pour rendre notre existence (et pas la planète) durable. Mais ça ne marchera probablement pas pour 10 milliards d’habitants.
Haroun Tazieff disait il y a longtemps déjà qu’on doit choisir entre vivre à 10 milliards de miséreux ou à 1 milliard de riches. La réalité sera probablement entre les deux, mais certains scénarios considèrent que la population est une donnée, alors qu’à mon humble avis c’est le paramètre de l’équation de Kaya le plus facilement contrôlable, avec du caoutchouc.
Concernant l’uranium dans l’eau de mer (ou du Rhône) quel est le but ? Est-ce que ça pourrait être utilisé dans une centrale nucléaire pour créer de l’électricité ? Si oui, quel est le coût énergétique de l’extraction ? Car il me semble que le coût financier n’est pas le problème essentiel. Si on dépense davantage d’énergie pour extraire le minerai de l’eau de mer que ce qu’on récupère d’énergie à la fin, ce n’est même pas la peine de dépenser de l’argent.
(Je n’y connais rien, je viens juste de lire cet article et cette question a germé spontanément dans mon esprit tatillon)
A propos de l’uranium on voit aussi ça et là l’argument selon lequel il ne reste de l’uranium que pour quelques décennies. Or l’uranium est beaucoup plus abondant que ça. Selon wikipedia:
L’industrie nucléaire actuelle en utilisant 60’000 tonnes, il en reste en réalité pour des millénaires…
Le procédé d’extraction de l’eau de mer coûte actuellement 5 fois plus cher que l’extraction minière selon cet article, mais le minerai ne représente qu’une toute petite partie du coût de l’électricité nucléaire, autour de 5% actuellement.
Merci pour la réponse, mais je parlais uniquement du coût énergétique de l’extraction à partir de l’eau. Si l’objectif est d’utiliser l’uranium pour produire de l’énergie, alors, il est important que le retour énergétique soit positif. Sinon, on dépenserait plus d’énergie qu’on en produirait, ce qui serait absurde, quel que soit le prix et quelle que soit l’abondance de la ressource.
Vu la densité énergétique de l’uranium (grâce à la fission), j’imagine que le retour énergétique est positif, même pour l’extraction à partir de l’eau. Mais, c’est une simple intuition de ma part, j’avoue que je n’ai strictement aucune idée des ordres de grandeurs qui permettraient de répondre à ma question.
(oups je crois que ma 2ème réponse s’est croisée avec votre précision, donc je la reposte ici)
L’autre aspect de votre question c’est celui de l’énergie nécessaire pour produire de l’énergie. C’est une excellente question. Les avis divergent beaucoup selon les points de vue politiques, mais pour ma part, je prétends que s’il n’y a pas de subventions qui faussent le marché (mais il y en a…), on ne peut pas dépenser plus d’ 1 kWh d’énergie A pour produire 1kWh d’énergie B, sinon on aurait eu intérêt à vendre directement l’énergie A…
Dans le cas de l’uranium, il faut bien réaliser l’équivalence : 1 tonne d’uranium produit autant d’énergie qu’environ 20’000 tonnes de charbon ( voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Tonne_d%27%C3%A9quivalent_p%C3%A9trole )
Allez visiter un bassin houiller pour voir combien d’énergie humaine (et de santé, et de vies…) est dépensée pour produire du charbon, et imaginez la même mine produisant 20’000x plus, sans produire de CO2 …
Pour l’extraction dans l’eau de mer, le coût semble lié à celui des matières plastiques poreuses nécessaires pour capter l’uranium (et le plastique, c’est surtout du pétrole à la base …) Mais la fin de l’article mentionne quelque chose d’intéressant : les japonais essaient d’utiliser des carapaces de crevettes comme substance absorbante !
Si on parle de A et B, c’est bien que A n’est pas égal à B. Si la valeur de A est inférieure à celle de B, on transforme A en B si c’est pas trop coûteux. C’est aussi bête que ça l’économie, on transforme et dans le processus on crame de l »énergie.
On remplit vos barrages toutes les nuits avec nos centrales nucléaires avec probablement 20% de perte ! Transformer une énergie A en énergie B, cela peut aussi consister à faire pousser une plante puis la brûler. Cette idée de « on ne peut pas dépenser » je suppose que vous avez du aller la chercher chez un pichuiliste comme Janco. On le fait pourtant tout le temps, il suffit d’ouvrir les yeux.
Qu’est-ce qu’un « pichuiliste » svp ? En googlant je ne trouve que 4 liens mentionnant ce terme, mais pas de définition. Mais oui, je suis en très grande partie d’accord avec Jancovici.
Mais vous avez raison, mon raisonnement en terme d’économie de l’énergie ne tient pas si on considère la valeur ajoutée liée au transport et au stockage, je vais y réfléchir…
Un partisan de la théorie du pic oil. C’est une théorie en béton sur le fond mais qui à l’inconvénient de ne produire aucun résultat utile empiriquement (sauf au niveau local et encore…). On aura plus de « pétrole » un jour mais on ne sait pas quand et on a tendance a se rapprocher du pic oil aussi vite que de l’horizon.
J’ai relu le commentaire de Gargantua puisqu’il tient lieu de contexte et vous excuse. Si on se mets à filtrer l’eau de mer avec l’énergie de centrales nucléaires, c’est vrai que si l’énergie nécessaire pour obtenir quelques kg d’uranium est trop importante cela n’a pas de sens de le faire. Autrement dit transformer A en A, ça c’est débile.
Par contre toutes les formes d’énergie ne se valent pas. Vous avez raison de penser au transport et au stockage, c’est là qu’on transforme et transformera encore plus à l’avenir A en B et avec des pertes bien sur !
Bonjour, je pensais qu’il y avait une erreur dans la quantité d’uranium présente dans 4000 m3 de terre. en fait l’ordre de grandeur semble bon (http://www.irsn.fr/FR/Larecherche/publications-documentation/fiches-radionucleides/environnement/Pages/Uranium-naturel-environnement.aspx )
Par contre, le problème de la dilution reste présent. On n’exploite le fer ou le cuivre, pourtant bien plus abondants (http://www7.inra.fr/lecourrier/assets/C22Baize.pdf ) que dans les veines concentrés. On pratique ce genre d’extraction uniquement pour les matières précieuses (or, terres rares, etc), ce qui laisse supposer que le coût énergétique/capitalistique de ces méthodes est trop élevé pour des ressources dont on consomme de grandes quantités.
Sans compter la production (débit/surface et efficacité énergétique) qu’il est possible d’assurer. Si il faut des surfaces de captage énormes et énormément de main d’œuvre, laisser la ressources en place peut être plus intéressant.
L’autre aspect de votre question c’est celui de l’énergie nécessaire pour produire de l’énergie. C’est une excellente question. Les avis divergent beaucoup selon les points de vue politiques, mais pour ma part, je prétends que s’il n’y a pas de subventions qui faussent le marché (mais il y en a…), on ne peut pas dépenser plus d’ 1 kWh d’énergie A pour produire 1kWh d’énergie B, sinon on aurait eu intérêt à vendre directement l’énergie A…
Dans le cas de l’uranium, il faut bien réaliser l’équivalence : 1 tonne d’uranium produit autant d’énergie qu’environ 20’000 tonnes de charbon ( voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Tonne_d%27%C3%A9quivalent_p%C3%A9trole )
Allez visiter un bassin houiller pour voir combien d’énergie humaine (et de santé, et de vies…) est dépensée pour produire du charbon, et imaginez la même mine produisant 20’000x plus, sans produire de CO2 …
Pour l’extraction dans l’eau de mer, le coût semble lié à celui des matières plastiques poreuses nécessaires pour capter l’uranium (et le plastique, c’est surtout du pétrole à la base …) Mais la fin de l’article mentionne quelque chose d’intéressant : les japonais essaient d’utiliser des carapaces de crevettes comme substance absorbante !
la note de bas de page ** corresponds aux terre noires qui n’a qu’une étoile.
SVP, effacer apres correction.