Ce livre [1] est l’une des raisons pour lesquelles je n’ai pas encore terminé la suite des « impossibles« . Ian Stewart attaque le sujet dès la première page:
Il existe en mathématiques deux types d’équations, très semblables en apparence. Le premier représente des relations entre diverses quantités mathématiques; la tâche consiste dans ce cas à démontrer que l’équation est vraie. Le second fournit des informations sur une quantité inconnue, et la tâche du mathématicien consiste alors à résoudre l’équation, à rendre connu l’inconnu. (…)
En mathématiques pures, les équations sont généralement du premier type : elles révèlent des schémas et des régularités aussi belles que profondes, Elles tirent leur validité du fait que, considérant nos présupposés fondamentaux à propos de la structure logique des mathématiques, il ne peut en être autrement.
En mathématiques appliquées et en physique mathématique, on trouve habituellement des équations du second type. Elles codifient des informations à propos du monde réel; elles expriment des propriétés de l’univers qui en principe auraient pu être très différentes.
Les 17 équations retenues par Stewart sont autant de chapitres sur des ponts établis entre mathématiques et réalité au cours des siècles:
titre du chapitre | formule | auteur | date | |
---|---|---|---|---|
1 | Le carré de l’hippopotame (le théorème de Pythagore) |
\(a^2+b^2=c^2\) | Pythagore | -530 |
2 | Ecourter les procédures (les logarithmes) |
\(\log xy=\log x+\log y\) | John Napier | 1610 |
3 | Fantômes de quantités disparues (le calcul infinitésimal) |
\(\frac{df}{dt}=\lim\limits_{h \to 0}=\frac{f(t+h)-f(t)}{h}\) | Newton | 1668 |
4 | Le système du monde (la loi de la gravitation de Newton) |
\(F=G\frac{m_1 m_2}{d^2}\) | Newton | 1687 |
5 | Prodige du monde des idées (la racine carrée de -1) |
\(i^2=-1\) | Euler | 1750 |
6 | Beaucoup de bruit pour des noeuds (la formule d’Euler pour les polyèdres) |
\(V-E+F=2\) | Euler | 1751 |
7 | Les motifs du hasard (la distribution normale) |
\(\Phi(x) = \frac{1}{{\sigma \sqrt {2\pi } }}e^\frac {( x – \mu)^2 } {2\sigma ^2 }\) | C.F. Gauss | 1810 |
8 | Bonnes vibrations (l’équation d’onde) |
\(\frac{\partial ^2 u}{\partial t^2}=c^2\frac{\partial ^2 u}{\partial x^2}\) | J. d’Alembert | 1746 |
9 | Ondelettes et soubresauts (la transformée de Fourier) |
\(f(\omega )=\int_{-\infty }^{+\infty }e^{-2\pi ix\omega }dx\) | J. Fourier | 1822 |
10 | L’ascension de l’humanité (l’équation de Navier-Stokes) |
\(\rho \left(\frac{\partial v}{\partial t}+v.\nabla v \right) = -\nabla p + \nabla.T+f\) | C. Navier, G. Stoker | 1845 |
11 | Des vagues dans l’éther (les équations de Maxwell) |
\(\nabla\cdot E = \rho / \varepsilon_0\) \(\nabla\cdot B = 0\) \(\nabla\times E = – \partial B/{\partial t}\) \(\nabla\times B = \mu_0 \left( J + \varepsilon_0 \partial E / {\partial t}\right) \) |
James Clerk Maxwell | 1865 |
12 | Loi et désordre (deuxième principe de la thermodynamique) |
\(dS\geq 0\) | Ludwig Boltzmann | 1874 |
13 | Une chose est absolue (la relativité) |
\(E=mc^2\) | Albert Einstein | 1905 |
14 | Bizarrerie quantique (l’équation de Schrödinger) |
\(i\hbar \frac{\partial }{\partial t} \psi=H\psi\) | Erwin Schrödinger | 1927 |
15 | Codes communication et ordinateurs (la théorie de l’information) |
\(H=-\sum p(x)\log p(x)\) | Claude Shannon | 1949 |
16 | Le déséquilibre de la nature (la théorie du chaos) |
\(x_{t+1}=kx_t(1-x_t)\) | Robert May | 1975 |
17 | La formule du roi Midas (l’équation Black-Scholes) |
\(\frac{\sigma ^2}{2}S^2\frac{\partial ^2V}{\partial S^2}+rS\frac{\partial V}{\partial S}+\frac{\partial V}{\partial t}-rV\) | F. Black, M. Scholes | 1990 |
Chaque chapitre commence par une page de résumé présentant l’équation sous une forme que j’ai trouvé intéressante. Voici par exemple celle du chapitre 9 sur la transformée de Fourier (mais oui, vous savez, le truc barbare…)
Ensuite trois paragraphes résument « Ce que cela nous dit », « Pourquoi c’est important » et « A quoi cela nous a conduits ». On le voit, l’ambition est de rendre accessible à tous la signification et l’importance de formules qui en rebutent beaucoup.
Mais disons le tout net : si vous n’avez pas une formation de base en maths ou une réelle curiosité pour ce monde, il est probable que la lecture de chaque chapitre se résume à celle des premières pages dans lesquelles Stewart fait l’historique de la découverte de chaque équation. Ce sont des pages passionnantes, où l’on voit que les mathématiciens de génie sont souvent incompris, bien que fréquemment ils ne fassent que formuler clairement les idées absconses de leurs contemporains.
Ensuite, le niveau de chaque article monte selon des pentes parfois assez raides qui peuvent décourager certains lecteurs. Stewart évite au maximum d’infliger d’autres formules mathématiques que celle servant de titre mais ses explications couvrent souvent plusieurs pages de texte compact pas forcément plus digeste.
En fait, chaque chapitre de ce livre peut être lu indépendamment et constitue un petit cours sur le domaine concerné par l’équation. En établissant des liens entre l’histoire, les maths et les applications technologiques actuelles, les formules prennent un sens plus concret et les chapitres de ce livres aideront certainement les étudiants et passionnés à mieux comprendre la signification et l’importance de ces équations célèbres.
Pour ma part, le chapitre qui m’a le plus plu car j’y ai le plus appris est le quatrième, dévolu à la gravitation newtonienne. J’y ai appris l’existence du réseau de transport interplanétaire utilisée par les sondes spatiales ainsi que par des comètes périodiques comme Oterma. L’idée est que les points de Lagrange peuvent être utilisés comme des aiguillages permettant de passer d’une orbite stable à une autre, très différente, en ne nécessitant que très peu d’énergie (cf mon article sur les puits gravitationnels). Par exemple, entre 1910 et 1980, la comète Oterma a alterné deux fois des orbites situés à l’intérieur de celle de Jupiter avec des orbites extérieures [2]
Pourquoi 17 équations, et pas plus ou moins ? Après 410 pages on ne se pose plus trop la question : éventuellement moins, mais pas plus. Le chapitre 1 sur Pythagore est « trop facile » par rapport aux autres, peut-être pour appâter le chaland. Le 13 sur la relativité m’a fait un peu la même impression, mais bon, on ne peut nier que e=mc² ait changé le monde… Personnellement c’est le dernier chapitre sur Black-Scholes qui m’a laissé un peu froid. Ok, les maths actuelles s’intéressent beaucoup à l’économie, mais il me semble que là, Stewart s’éloigne un peu des « deux types d’équations » de son introduction.
Peut-être que Stewart aurait pu ajouter l’équation du Page Rank de Google ou celle du filtre de Kalman comme il le suggère dans un mail ([3], « bonus » en bas). Mais il les garde plus probablement pour un prochain livre sur les « 17 équations qui changeront le monde », si celui-ci marche bien…
« 17 équations » est un bon bouquin, mais ne soigne pas l’allergie aux maths. Si vous connaissez déjà certaines des équations, ça vous fera une bonne révision et vous en découvrirez probablement de nouvelles facettes, comme les ondelettes par exemple. Si vous êtes un passionné d’histoire des sciences vous y trouverez certainement votre bonheur également.
(merci à l’éditeur pour la « copie presse »)
Références:
- Ian Stewart "17 équations qui ont changé le monde" (2014) Robert Laffont ISBN: WorldCat Goodreads Google Books
- [altmetric doi= »10.1023/a:1013398801813″ float= »right »]W. S. Koon, M. W. Lo, J. E. Marsden, S.D. Ross, “Resonance and Capture of Jupiter Comets” 2001, in « Dynamics of Natural and Artificial Celestial Bodies », Springer DOI > 10.1023/a:1013398801813
- Max Nisen, « The 17 Equations That Changed The Course Of Humanity« , 2013, Business Insider
18 commentaires sur “17 équations qui ont changé le monde”
Ah mais je suis pas là pour faire vos devoirs moi 😉 Et a au cube s’écrit a^3 …
on voit tout de suite que vos inégalités n’ont pas de solution car a^3 doit être négatif pour « diminuer » 52.9 en dessous de 0.45, donc a est négatif et ne peut pas être > 0.359 en même temps
https://www.wolframalpha.com/input/?i=solve+0.45+%3E%3D69.7%2F2200*a%5E3%2B52.9+for+a
Cela dit, le site https://fr.quora.com/ vous aidera peut-être mieux que moi …
je vous remercie docteur. j’ai trouvé pratiquement le meme resultat. a = 0,359
Le jeu. 13 déc. 2018 à 21:53, Disqus a écrit :
bonjour chers amis. je voudrais vous demander de m’aider pour la résolution de cette équation que voici.
0,45 >ou= 135,9 / 2200 * a3 + 200
WolframAlpha est votre ami : https://www.wolframalpha.com/input/?i=solve+0.45+%3E%3D+135.9+%2F+2200+*+x+%2B+200 dit que a3 <= -3230.39
Les équations de Maxwell sont complètement fausses !!
Oui effectivement, j’ai du me planter en latexifiant celles du bouquin … J’ai corrigé avec les équations de la Wikipédia (déjà en LaTEX…) version SI plutôt que cgs ( https://en.wikipedia.org/wiki/Maxwell%27s_equations ) merci de l’avoir signalé !
Euh oui en effet jm, mais l’exponentielle est la fonction qui à x associe 2,718…^x .Il n’y a donc pas d’erreur…
C’est la même chose…
On a sauté toute contribution par les arabes !!!!
Oui c’est vrai, mais …
Les arabes (et perses…) ont certainement beaucoup contribué aux mathématiques ( voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Mathématiques_arabes ) notamment en introduisant le zéro et la notion d’algorithme. Je parle un peu de ça dans https://drgoulu.com/2010/07/11/al-khawarizmismes/
Mais je n’ai pas vraiment d’équation due à un arabe (ou perse…) qui me vienne à l’esprit. Des suggestions ?
Le théorème d’Al-Kashi par exemple 🙂
Oui, merci pour ce bon exemple connu aussi sous le nom de « Loi des Cosinus » https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_des_cosinus
Bonjour,
je suis étudiante en linguistique computationnelle à l’université de Zurich. Dans le cadre d’un travail de recherche, je souhaite rassembler un (petit) corpus de langage de blogs. A cet égard je suis à la recherche d’une dizaine de blogueuses/blogueurs qui accepteraient de mettre à ma disposition 1000 à 1700 mots de leurs blogs. J’annoterai ensuite manuellement le corpus, premièrement l’étiquetage morphologique (anglais: Part-of-Speech tags) et deuxièmement l’analyse syntaxique (arbre syntaxique). J’écrirai ensuite des programmes qui seront entraînées sur 90% du corpus manuellement annoté avant de le tester sur les 10% restants et de comparer le résultat avec les mêmes 10% annotés manuellement. Je ne vais pas m’étendre indéfiniment dans ce commentaire, mais je serais très intéressée à utiliser votre blog pour mon travail de recherche. Je vous donnerai de plus amples informations si vous me contactez.
Meilleures salutations
Bonjour Fab,
Les textes de mon blog sont disponibles sous licence Creative Commons, donc vous pouvez en faire tout ce que vous voulez sauf les vendre ou vous les attribuer. Donc prenez sans autre tout ce dont vous avez besoin pour votre travail, et n’hésitez pas à me demander si vous avez besoin de plus d’informations.
Et ça me ferait très plaisir d’être informé des résultats de votre étude.
Avec tous mes encouragements
Le carré de l’hippopotame, vraiment ? Cela ressemble à de la complétion automatique pour un article rédigée sur tablette et que hypoténuse ne soit pas dans le dictionnaire du système de compétition. Mon hypothèse est elle correct ?
Non c’est bien le titre du chapitre 😉
Comme je l’ai dit, le livre commence très en douceur avec ce chapitre, dont le titre vient d’un blague stupide en anglais:
Once upon a time in an Indian village, there lived three squaws. Two squaws had young sons who were very overweight. The first squaw, whose son weighed 150 pounds, always placed her son on a bear hide near a pine grove; the second squaw, whose son also weighed 150 pounds, put her son on a moose hide in the shade of a large oak tree; but the third squaw, who was expecting the birth of her first son, always rested on a hippopotamus hide beside a bubbling brook. Her weight? 300 pounds!
To this day, mathematicians give credit to these women and their children for proving the Pythagorean Theorem, because you see:
The squaw of the hippopotamus is equal to the sons of the squaws of the other two hides.
Pour l’entropie je serais du même avis que Boltzmann, j’aurai mis en avant :
S= k_b log( Z)
Elle est tellement importante, jusque dans la théorie du signal.
Est-ce que le livre souligne l’apparition de notre notation algébrique ?
Oui, S = k log W , telle qu’elle est gravée sur la tombe de Boltzmann aurait bien convenu aussi. Elle est citée dans le texte du chapitre, mais l’accent est plus porté sur la décroissance de l’entropie. L’aspect « informatique » est traité dans le chapitre 15.
Le livre mentionne à plusieurs endroits que l’écriture « moderne » des équations est assez différente de leur formulation initiale (j’en montre un exemple dans le paragraphe « Chérie, j’ai rétréci la formule » de cet article) mais ne mentionne en introduction que l’invention du signe égal attribuée à Robert Recorde en 1557. Je ne la connaissais pas,,,
Attention le e de la transformée de Fourier est une exponentielle.
Noyau e ix=cosx +isinx