Pour le public les trous noirs sont toujours des monstres dévorant inexorablement la matière qui les approche, alors que depuis les années 1970 les scientifiques savent que certains produisent des jets qui envoient des quantités importantes de matière très loin dans l’espace à des vitesses relativistes, voire supraluminiques en apparence. Aujourd’hui certains astrophysiciens vont jusqu’à suggérer que les trous noirs géants siégeant dans le noyau actif des galaxies absorbent moins d’étoiles qu’ils n’en produisent directement dans leur voisinage immédiat et indirectement par le recyclage des jets.
Toutefois, le mécanisme qui transforme le disque d’accrétion de matière tournant autour de l’équateur en jets émis par ses pôles est encore trop mal connu, en partie parce que tout ceci se passe dans les environs immédiats des trous noirs qui sont, rappelons-le, très petits. Ainsi Sagittarius_A*, le trou noir central de notre Voie Lactée, émet du rayonnement depuis une zone qui tiendrait dans l’orbite de la Terre autour du Soleil. Mais il est situé à environ 26000 années-lumière, trop loin pour qu’on puisse distinguer ce qui s’y passe en détail, et mal orienté puisque nous nous trouvons à peu près dans le même plan que son équateur. En plus, il ne semble pas « actif » à manger des étoiles très souvent.
C’est pourquoi on étudie avec attention les systèmes « binaires X« , des systèmes doubles dans lesquels une étoile tourne autour d’un trou noir stellaire (ou d’une étoile à neutrons), et plus particulièrement les « microquasars« , qui émettent des jets. On en connait une bonne vingtaine [1] dont le célèbre Cygnus_X-1, le premier trou noir identifié comme tel en 1971, situé à 6000 années-lumière « seulement ». Bien que les trous noirs stellaires soient encore plus petits que ceux occupant le centre des galaxies, l’observation est facilitée par le fait que les deux astres se tournent autour en quelques dizaines d’heures, l’un aspirant le gaz de l’autre en quasi continu.
C’est justement une discontinuité de ce transfert qui vient d’être observée dans le système poétiquement nommé H1743-322 conjointement par le satellite Rossi X-ray Timing Explorer (RXTE) de la NASA et le Very Long Baseline Array (VLBA) au sol [2,3]:
Le 28 mai 2009, « quelque chose » tournait 0.9 fois par seconde autour du trou noir, puis ce pic d’émission dans les rayons X s’est progressivement décalé à 1.3 Hz le 30 mai et 3.5 Hz le 2 juin. Imaginez que le « quelque chose » soit un grumeau de gaz peut-être de la masse de la Lune qui se mette à tourner 4 fois par seconde autour d’un trou noir de la taille de la Terre, pour vous faire une idée…
Et le 5 juin, plus rien ne tourne. Par contre le VLBA observe un accroissement des émissions radio de l’ensemble, et le 6 on voit distinctement deux paquets s’éloigner à la colossale vitesse de 0.25 c dans des directions opposées, perpendiculaires au plan de l’écliptique. Au lieu d’être absorbé par le trou noir, il en a éjecté une partie importante.
Combien ? Comment ? Les données recueillies sur H1743-322 vont certainement améliorer nos connaissance sur les trous noirs et sur les phénomènes physiques entourant la production de ces incroyables jets.
Références
- Sylvain Chaty, Microquasars, AIM – Astrophysique Interactions Multi-échelles, Université Paris 7 Denis Diderot
- NASA’S RXTE Helps Pinpoint Launch of ‘Bullets’ in a Black Hole’s Jet
- Du gaz rejeté au quart de la vitesse de la lumière par un trou noir sur MaxiSciences
- Bernard Lempel « Jets et Systèmes binaires » L’Astronomie Vol 117 – Sept 2003
2 commentaires sur “Un trou noir lance des boules de gaz”
Je ne peux pas m’empêcher de trouver quelque chose de très beau et troublant au fait qu’on puisse se tourner vers un endroit précis du ciel, et se dire : là se trouve le centre de la galaxie !
Pour ceux qui cherchent le trou noir, il est là
Bel article, vraiment. Je ne connaissais pas du tout cette info !