Quel est le plus grand nombre entier que vous pouvez exprimer ? neuf milliards de milliards de milliards de (répéter quelques fois) milliards ? C’est un bon début, mais chaque « milliards de » n’ajoute que 9 zéros au nombre mais vous coute 12 lettres. Cherchez plus grand et plus court, disons en 5 caractères maximum.
99^99, où ^ signifie « à la puissance », est déjà mieux : ça donne un nombre de 197 chiffres. Mais on peut faire beaucoup mieux : 9^9^9 donne un nombre monstrueux [à condition de considérer que 9^9^9 signifie 9^(9^9) et non (9^9)^9 ] de 387’420’489 chiffres
( J’ai trouvé une merveilleuse démonstration de cette proposition. Mais la marge est trop étroite pour la contenir. DrG et PdF)
A priori, de tels nombres n’ont aucune utilité : ils sont beaucoup plus grands que le nombre de particules dans l’Univers mais pourraient être intéressants tout de même :
Le problème avec les entiers est que nous avons seulement examiné les plus petits. Il se pourrait que les choses les plus extraordinaires arrivent pour des entiers réellement grands, ceux que l’on ne peut appréhender ou qu’on n’a simplement pas commencé à concevoir de manière très précise
Ces mots sont de Ronald Graham, le mathématicien détenant le record du plus grand nombre entier utilisé dans une démonstration mathématique, le nombre de Graham. C’est la plus petite solution connue d’un problème apparemment simple, mais ce nombre est si extraordinairement grand qu’un ordinateur de la taille de l’Univers n’arriverait pas à le stocker en mémoire. Pourtant il figure (presque) en noir sur blanc dans la démonstration de Graham, qui utilise une notation mathématique adaptée.
Les « puissances itérées de Knuth » consistent à généraliser la progression entre les opérateurs considérés comme des itérations :
- l’addition a+b est équivalente à b incrémentations : a+b=a+1+1+…+1+1 avec b « +1 »
- la multiplication a.b est équivalente à b additions : a.b=a+a+ … +a avec b « a »
- l’élévation à la puissance a^b est équivalente à b multiplications : a^b=a.a. …a avec b « a »
- ensuite, Knuth définit l’opérateur ↑↑ ainsi : a↑↑b est équivalent à b élévations successives à la puissance a : a↑↑b=a^a^a…^a, avec b-1 « ^a ».
Avec cette notation, notre 9^9^9 se note 9↑↑2, un nombre minuscule à côté de 9↑↑9, lui même ridicule comparé à 9↑↑99 qui tient en 5 caractères aussi … - On peut continuer en définissant a↑↑↑b = a↑↑a↑↑a↑↑…↑↑a avec b-1 « ↑↑a ». Cet opérateur permet d’écrire les 5 caractères 9↑↑↑9, un nombre absolument titanesque. (qui arrivera à déterminer sa taille ?)
- Et évidemment, on peut continuer ainsi à l’infini en ajoutant des flèches, ou plus simplement définir un opérateur généralisé ↑n ainsi:
Outre sa beauté, cette généralisation des opérateurs mathématiques courants semble redoutablement puissante pour écrire de très très grands nombres.
Pourtant, nos amis mathématiciens ont éprouvé le besoin de manipuler des nombres encore plus grands de façon encore plus compacte et ont inventé la flèche chaînée de Conway :
- la chaîne notée a→b→n est équivalente à a↑nb. Par exemple, notre 9^9^9 se note 9→9→2. Donc avec 5 caractères toujours, on peut écrire 9→9→9, un nombre colossalement plus grand.
- pour n=1, on ne note pas le 3ème terme de la chaîne et on retrouve l’exponentiation usuelle : 9→9=9^9
- mais on peut aussi allonger la chaîne. Les chaines de longueur 4 ou plus permettent de manipuler des nombres encore plus grands à l’aide règles bien définies.
Concluons en revenant au nombre de Graham . Il est défini comme le 64ème élément de la suite
4, 3↑↑↑↑3,3↑(3↑↑↑↑3)3, 3↑s33,…, 3↑s(n-1)3, … dans laquelle chaque élément donne le nombre de flèches dans l’élément suivant. Le 64ème élément a des milliards de milliards … de milliards de flèches. On ne sait pas directement l’écrire en chaîne de Conway, mais on sait que G est compris entre
3→3→64→2 < G < 3→3→65→2
Plutôt compact pour des nombres qui n’ont pas beaucoup de chiffres à envier à l’infini …
sources :
- Ronald Graham et les mathématiques discrète sur le Blog à Maths
- Notation des puissances itérées de Knuth sur Wikipedia
- Flèche chaînée de Conway sur Wikipedia
- Factoids : big numbers
- Robert Munafo’s Large Numbers
13 commentaires sur “Très très très grands nombres”
Viens de découvrir la librairie Python https://pypi.org/project/hyperop/ ( https://github.com/thoppe/python-hyperoperators ) qui manipule ces choses …
Que pensez-vous du nombre : 9!^(9!^9!) (j’avais proposé ça en classe de seconde, il y a des années, quand on nous avait demande d’écrire un nombre entier rationnel aussi grand que possible avec trois chiffres. J’ignorais alors qui étaient Graham, Knuth et Conway,
Je crois qu’il est facile de faire bien plus grand en s’inspirant du nombre de Graham et de la flèche de Conway
9!→9!→9!
Bon, mais je ne suis pas un super-expert en maths. Correction souhaitée, please, si je dis n’importe quoi.
Non, c’est très bien trouvé bravo !
Ma seule remarque concerne le « nombre de chiffres », car comme vous l’avez découvert, des symboles comme le ! de la factorielle permettent d’ « agrandir » des chiffres sans utiliser de chiffres supplémentaires. Si vous permettez ça, alors vous pouvez aussi faire (999!)! et par extension ((999!)!)! etc sans limite…
C’est pourquoi j’ai préféré limiter à 5 le nombre de caractères plutôt que de chiffres dans mon article.
Mais votre commentaire me suggère un jeu auquel je n’avais pas pensé : quel est le plus grand nombre (fini) qu’on puisse écrire avec n caractères ?
J’ai commencé à y répondre dans ce commentaire mais c’est devenu si intéressant (= compliqué…) que je vais peut être en faire un article… Le problème est de définir quelles notations sont acceptables. Indice : je suis tombé sur https://en.wikipedia.org/wiki/Tetration
En fait ça rejoint pas mal la problématique du « jeu de l’année » ( https://drgoulu.com/2012/01/18/jeu-de-lannee-2012-et-autres-cest-fini/ ), et justement 2017 approche …
Suite à une question sur Quora j’ai découvert l’existence de http://googology.wikia.com/ , un site dédié aux très très très très grands nombres.
Trouvé cet article http://waitbutwhy.com/2014/11/1000000-grahams-number.html très complet et l’excellent site http://waitbutwhy.com/ grâce à http://www.quora.com/How-big-is-Grahams-number
découvert la « Bibliothèque de Babel« , mais le nombre de bouquins y est ridicule comparé au nombre de Graham
et le plus dingue, c’est de penser que quelquesoit l’entier naturel que l’on considère -aussi grand soit-il-, la probabilité d’en choisir un autre au hasard dans l’ensemble des entiers naturels qui lui soit plus petit est…0!
10^40 positions possibles aux échecs, c’est pas mal, mais c’est juste un grand nombre, largement inférieur au nombre d’atomes de l’univers. 10^140 parties d’échecs distinctes, ça commence effectivement à être un assez grand nombre, mais ridicule par rapport au nombre de parties de Go autour de 10^768.
Si on considère qu’un cerveau à autour de 10^15 synapses et que chacune peu être soit « excitée » soit « au repos » à un instant donné (infâme approximation d’informaticien, 1024 excuses…), alors il existe (au moins) 2^10^15 états possibles du cerveau. Là ça commence à faire un très grand nombre.
Mais un « très très très » grand nombre, c’est effectivement incommensurablement plus grand que tout ce que l’on peut imaginer. En fait c’est vachement plus grand que l’idée qu’ont la plupart des gens de l’infini…
Après lecture de l’article je me suis dis que l’on pourrait utiliser cela pour exprimer le nombre de partie d’échecs possibles…. mais finalement c’est très décevant tant le nombre de partie d’échec possible est « ridiculement » faible pour cette notation (cf http://www.geocities.com/explorer127pl/szachy.html).
mais peut-être que pour exprimer le nombre possible d’états du cerveau du joueur d’échec (eternel) devant résoudre l’ensemble des parties d’échec…. ça peut commancer de devenir utile
1) 40 milliards d’euros, c’est entre 2^3^3 et 3^3^3. Mais il y a un gros trou entre les deux. 10^10 est plus proche.
2) c’est une excellente question, à laquelle il est relativement simple de répondre si on pense que le nombre de chiffres du résultat d’un produit est au maximum la somme du nombre de chiffres des facteurs. Si je note a’ le nombre de chiffres de a, on a donc (a*b)'<=a’+b’. En utilisant la hiérarchie des opérateurs décrite dans l’article, on voit que (a^b)'<= a’*b . En poursuivant le raisonnement, on a (a^^b)'<= a’*a^b (et voila la merveilleuse démonstration qui prenait trop de place dans l’article 😉 ). Et ainsi de suite. Donc dès qu’il y a 3 flèches, il en faut 2 pour exprimer le nombre de chiffres du résultat. Mais qu’une seule pour le nombre de chiffres du nombre de chiffres du résultat… Je crois que j’ai une idée pour généraliser ceci avec une petite fonction Python qui dira par exemple que le nombre de chiffres du nombre de chiffres du nombre de chiffres de 99^^^99 est 4 😉
3) oui ce débat est très intéressant. Personnellement je pense que les maths sont inventées par l’homme, et que les nombres sont une merveilleuse création de la faculté d’abstraction humaine. Que ce soit pi ou 9^^^^9, nous sommes capables de manipuler par la pensée, ou via des symboles très compacts, des concepts qui transcendent la nature physique de l’Univers. C’est en fait surtout cette notation compacte qui m’a intéressé, et le fait qu’elle permette de démontrer l’existence d’une solution incroyablement grande (le nombre de Graham) à un problème relativement simple à énoncer.
Exercice : exprimer le déficit budgétaire 2010 dans cette notation.
Exercice 2 : à partir de quel nombre (exprimé en puissance de Knuth) doit-on recourir à la notation de Knuth elle-même pour exprimer le *nombre de chiffres* du nombre désigné ?
Exercice 3 : dans le grand débat « les mathématiques sont-elles inventées par l’homme ou découvertes ? », quelle est la réalité de nombres qui planent quelques trilliards de trilliards d’ordres de grandeur au-dessus de toute quantité physique imaginable ? (On doit déjà avoir dépassé de quelques infinis le nombre de combinaisons possibles de tous les atome de tout le multivers non ?)
Ce qui me fascine aussi, c’est qu’un jour (peut-être dans des millions d’années), quelque part (pas forcément dans cette Galaxie), quelqu’un trouvera une utilisation pratique de ces délires.
tombé sur un problème intéressant mentionné à cette page :
lequel de ces deux nombres est le plus grand ? A ou B ?
A = 2^79641170620168673833
B = 3^50247984153525417450
B. Il y a le même nombre de chiffres dans les puissances (20). la puissance 3 augmente bien plus vite que la puissance 2.
Au pire, on peut comparer en prenant le ln (fonction croissante) et la réponse tombe.