Je donne des cours depuis longtemps, avec plus ou moins de succès. Parfois mes élèves se sont endormis, parfois ils n’ont pas osé parce que leurs patrons payaient très cher leur formation. Une fois, 300 gaillards ont quitté l’amphi à la cloche sans me lancer de tomates. Une autre fois, une très jolie fille à qui je donnais des cours d’appui en maths a préféré m’épouser… Sans ressentir de véritable vocation d’enseignant, j’aime bien « transmettre mon savoir », alors à quoi bon la pédagogie ?
Actuellement je passe environ 10% de mon temps de travail à former des collaborateurs, et comme mon employeur dispose d’un centre de formation pour ses 270 apprentis et la formation continue de son personnel, j’ai bénéficié d’une « formation de formateur » de trois jours, une excellente introduction à la pédagogie. Révélation. On a pris des baffes, mais c’était salutaire. Avis à presque tous mes anciens élèves : je ne donnerai plus de cours comme avant, promis !
En tournant autour du triangle pédagogique, un participant a mentionné la démonstration du Théorème de Pythagore comme exemple type du truc asséné par la pédagogie traditionnelle et qu’on ne retient pas, parce que ce n’est pas « 3U » : utile + utilisable + utilisé. Comme chaque participant devait élaborer une petite formation de 20 minutes, l'objectif pédagogique de la mienne était tout trouvé :
« Réconciliez-vous avec Pythagore au point d’être capables de démontrer son Théorème à vos enfants avec du papier et des ciseaux. »
Pour ça j’ai pondu ce matériel/support de cours [pdf] et le petit scénario pédagogique suivant, expérimenté sur mes collègues/cobayes :
- 2 mins : méthode interrogative « qui se souvient du théorème de Pythagore ? ». Faire dire aux participants qu’il concerne les triangles rectangles, qu’il s’agit de la relation entre la longueur des côtés. Faire dire la relation, ou au moins qu’elle concerne les carrés. Lequel des côtés est appelé hypot
hénuse ? (là surprise : un participant se souvient que l’ autre s’appelle « cathète », ce que j’avais oublié, car inutile 🙂 ) - 3 mins : méthode explicative : il y a environ 2500 ans, Pythagore a eu l’idée géniale que la relation entre les côtés des triangles rectangles impliquait les carrés. Dessin de la figure de l’interprétation géométrique. Comment a-t-il eu cette idée ? Personnellement je pense que c’est peut-être en découvrant le triplet pythagoricien (3,4,5) et en remarquant que 3²=9, 4²= 16, 9+16=25=5².
Ajout du 5.5.12 : c’est bien ça ! je viens de découvrir la corde à treize noeuds des égyptiens grâce à la vidéo d’AlgoRythmes !
Mais l’existence des triplets comme (3,4,5) ne constitue pas une « démonstration ». Pour démontrer Pythagore, il faut montrer que la relation a²+b²=c² est vraie pour tout triangle rectangle. Une démonstration géométrique se base sur un dessin avec un triangle quelconque, mais peut être répétée quel que soit le triangle. - 5 mins : méthode découverte : donner la page A du matériel (j’avais prédécoupé les triangles pour gagner du temps). L’idée est que les participants retrouvent par eux-mêmes l’une des méthodes suivantes:
- le puzzle de Henry Perigal animé en GeoGebra ici et en video:
https://www.youtube.com/watch?v=LtkAIQcACqY - le réarrangement
https://www.youtube.com/watch?v=gy2Y7Ld4B6U
- le puzzle de Henry Perigal animé en GeoGebra ici et en video:
- 5 mins : si on a le temps (on ne l’a pas eu parce que le point ci-dessus prend 10 mins au lieu de 5), voir cette autre démonstration en vidéo et la reproduire à l’aide de la page B du matériel et de carrés a² et b² à découper :
- 6 mins ( 1 min par participant) : évaluation : chacun reproduit la démonstration sans aide.
Au debriefieng, le retour des participants est assez bon, ils ont apprécié mais font remarquer que je n’ai pas parlé de l’utilité du théorème de Pythagore. Et c’est vrai. J’y avais pensé mais je ne voulais pas trop digresser sur la norme euclidienne dans un espace à 3 dimensions et ses applications dans les jeux vidéo (on ne se refait pas…) lorsqu’un participant à mentionné la longueur de la rampe d’un escalier. Effectivement, c’est simple, parlant et je n’y avais pas songé…
Malgré ça j’étais assez content de moi, persuadé que toute l’assistance allait passer la soirée en famille avec mes petits triangles de papier lorsque le formateur me dit : « j’ai rien compris ». Voyant mon air catastrophé il ajoute aussitôt : « par contre j’ai réalisé un truc aujourd’hui, à 59 ans : quand on dit 3 au carré, ça correspond à la surface d’un carré de 3 par 3. » Réalisant que j’étais sorti de sa zone proximale de développement, je lui ai dit que ce qu’il avait compris était beaucoup plus important que le théorème de Pythagore, et que j’étais très content.
Et je l’étais vraiment, mais la vraie raison pour laquelle j’avais mis sur pied cette formation continuait à me turlupiner : peut-on vraiment enseigner (= transmettre des compétences ) des notions demandant un certain degré d’abstraction (comme les maths) par des méthodes très interactives ? Et même si oui, en quoi découper et bouger des petits triangles en papier serait-il plus pédagogique que tracer des symboles mathématiques sur du papier ? Ou n’est-ce qu’un problème de prérequis ? Quand on « ne sait plus qu’on sait » , la phrase qui tue « mais c’est évident, voyons » n’est pas loin…
En pensant à ça et à l’escalier, je me demande si le problème de l’apprentissage ne réside pas dans la hauteur des marches ? Pour une même pente d’apprentissage, il y a peut être des domaines (lecture, écriture, sciences humaines ?) dans lesquelles l’escalier est formée de nombreuses marches très petites, formant presque une rampe continue alors que lees maths et les sciences « dures » m’apparaissent comme de vraies marches, parfois hautes, correspondant à des notions qu’il faut intégrer, appliquer, digérer avant d’attaquer la marche suivante.
Tout ça m’a aussi donné une idée à propos des extraterrestres à qui on a envoyé le théorème de Pythagore : peut-être qu’ils ne nous répondent pas parce que leur société est dirigée par des pédagogues et que leurs mathématiciens, génétiquement incapables de transmettre leur science d’une manière accessible à tous, sont relégués dans une basse caste…
Ensuite j’ai du me concentrer parce qu’un autre participant nous a appris à faire une mayonnaise et je ne voulais pas rater la mienne. Parce qu’une mayonnaise, ça se mange !
Quelques liens:
- Animations de démonstrations géométriques au Palais de la Découverte
- D’autres animation autour de Pythagore
- Histoire du théorème de Pythagore sur MediaMaths
- Elisha S. Loomis "The Pythagorean proposition: its demonstrations analyzed and classified, and bibliography of sources for data of the four kinds of proofs." (1968) National Council of Teachers of Mathematics ISBN:9780873530361 WorldCat Google Books (un livre énumérant 370 démonstrations !)
12 commentaires sur “Un peu de pédagogie grâce à Pythagore”
Merci pour vos efforts Dr Goulu, nous avons tous tant besoin de comprendre… et comprendre la compréhension serait un comble qui me comblerait, aussi. J’ai exploré un peu de ma grande ignorance en prenant connaissance de quelques écrits de Britt Mary Barth, que je recommande à votre sagacité. Peut-être y trouverez-vous quelque éclairage métacognitif utile, à l’instar de ce qu’elle m’a apporté (mais pour autant je rame souvent en maths aussi aisément que dans une mare de purée de pois… eu égard à mon manque de connexions dans mon corps calleux ! -il faut bien trouver une explication innocente-).
Jolie démonstration interactive et animée ici : http://www.thedudeminds.net/?p=6156
Je viens de voir la vidéo de Dan Meyer … et comprends mieux la remarque d’Arnaud 🙂
Etonnant, parce que j’avais en tête que les ouvrages de maths anglo-saxons étaient beaucoup plus « appliqués » que les notres
(je ne connais -un peu- que ceux d’analyse numérique, et le constat m’y semble évident)
Pour les marches de l’escalier où il faut aider les élèves.
Il y a marches et marches.
Le principal problème est que parfois à trop vouloir aider, on saborde l’instinct de recherche qu’ont les élèves.
Au lieu de faire une petite démonstration (ou argumentation), une simple vidéo à cette adresse (en anglais sous-titré français):
http://www.ted.com/talks/lang/fr/dan_meyer_math_curriculum_makeover.html
Dan Meyer critique les livres de maths américains (qui étrangement ressemble beaucoup aux nôtres…. 🙂 )
Bon visionnage
L’enseignement des « mathématiques » à l’école primaire use et abuse des bouts de papier, colle et ciseau sous prétexte de faire « concret ». Pour un enfant maladroit et peu soigneux ça peut tourner au cauchemar : les traits ne sont jamais droits, les ciseaux dérapent, tout colle sauf ce qu’on voulait coller, le demi millimètre qui manque correspond il à une volonté perverse de l’énoncé ou une faiblesse de la photocopieuse ?… (C’est mon témoignage en tant que parent)
Un coup d’oeil aux cahiers conduit à se demander si l’enseignant n’a pas tendance à confondre dessin industriel et géométrie ? En tous cas on a déjà réussi à fâcher une partie de la population avec « les maths »
Parvenus en 4e (classe réputée pour constituer un passage difficile) , on constate qu’il est devenu difficile de convaincre l’élève d’élaborer une démonstration pour une propriété qui est « évidente sur la figure ». Les amateurs de jolis dessins sont susceptibles d’abandonner la partie à ce moment là.
Je pense qu’il faudrait parvenir à reconnaître dès le début le caractère intrinsèquement abstrait des maths, et à montrer que c’est justement là que réside leur charme : c’est plus rassurant d’écrire tranquillement que 3×3 + 4×4 = 5×5 , à partir d’un croquis dont l’inexactitude est assumée, que de se battre avec un double décimètre et devoir hésiter entre 2,9 et 4,1 et des nombres à virgule recrachés par la calculatrice.
Je ne suis on ne peut plus d’accord avec le commentaire de Nathalie. Pas sûr qu’il y ait une méthode universelle pour faire saisir une notion mathématique: certains adoreront la démonstration par le collage, d’autres la détesteront… D’où l’idée qu’il est important de proposer plusieurs chemins différents pour arriver au résultat, en laissant à chaque enfant le soin de choisir celui qui lui « parlera » le plus…
attention c’est « hypoténuse » et non « hypothénuse »
Merci pour la correction, et bienvenue sur mon blog, parce qu’en visitant le votre je me suis aperçu qu’on avait des choses en commun 🙂
Dr Goulu, je vous AIME ! Une collègue pour qui les maths et le russe sont trop proches !
Ton expérience me rappelle une discussion sur un billet de Tom Roud concernant la pédagogie des cours de physique (ici): est-ce que l’émerveillement (sur lequel joue la vidéo que tu mentionnes et les petits découpage de triangles en carton) suffit à transmettre durablement une notion? Feynman, qui me semble être un as en la matière, semblait conclure que non. Ses cours avaient beau être des concentrés de démonstrations bluffantes et super originales, il se rendait compte qu’il fallait avoir déjà compris les notions dont il parlait pour les comprendre. Sinon, on risquait de se souvenir de son cours, mais de n’avoir rien compris au contenu.
Du coup, je me demande si une réponse ne serait pas dans une pédagogie plus diversifiée, qui commence par expliquer le problème à quoi on veut s’attaquer (la longueur de l’escalier par exemple), et puis ensuite de proposer trois ou quatre manières différentes d’expliquer la notion à retenir. Chaque élève retenant celle qui lui « parle » le plus, même si ce n’est pas forcément la plus épatante. Les autres démonstrations ne sont pas inutiles pour lui: elles auront ajouté la touche d’émotion nécessaire à graver plus durablement la notion dans la mémoire…
En tous cas c’est un sujet on ne peut plus fascinant.