C’est du moins ce qu’illustre Jarmo Mäkelä dans son essai « Is Reality Digital or Analog? » [1] qui a remporté le premier prix du concours FQXi 2011 dont je vous ai causé il y a quelques mois.
Le texte commence comme une petite nouvelle de S.-F. : le narrateur rêve de rencontrer Sir Isaac Newton après lui avoir envoyé quelques livres et articles sur la physique contemporaine, et il trouve le lendemain une invitation à rencontrer le célèbre physicien le 18 novembre 1700 à Londres, à 3 PM. Ne souhaitant pas « ennuyer le lecteur avec une description détaillée de la manière dont il s’est rendu au rendez-vous », Mäkelä passe à un compte-rendu de sa rencontre avec Newton, auquel il demande sans ambages : « Alors, la réalité est-elle digitale ou analogique? ». Newton répond sans hésitation « Digital, of course. » – « Comment le savez-vous? » – « Parce que je l’ai calculé. »
Suivent deux pages de vulgarisation très bien faites sur la relativité et la mécanique quantique pour arriver au résultat sur lequel Newton base son calcul : l'évaporation des trous noirs prédite par Stephen Hawking. Les trois pages suivantes sont consacrées à la physique des trous noirs. Elles sont nettement plus techniques et décorées de quelques formules susceptibles d’effrayer les non matheux, mais l’argumentation peut être suivie grâce au texte du dialogue entre les deux physiciens.
En résumé, un trou noir a une masse finie, une entropie finie et la surface de son horizon des événements est elle aussi finie. Pourtant le calcul de la fonction de partition d’un trou noir conduit à des fonctions divergentes qui n’ont pas de réalité physique, à moins de considérer que la surface de l’horizon des événements est constituée d’une somme (finie) de surfaces minuscules. Et puisque l’horizon des événements appartient à l’espace-temps « normal », alors toute surface dans l’espace-temps « normal » doit être discrète.
A la fin de son essai, Mäkelä va encore plus loin : à l'échelle de Planck où les notions de distance, de temps et de causalité n’ont plus de sens, son Newton propose de substituer un sorte de « surface de Planck ». Il explique que dans l’espace temps, l’analogue du tétraèdre (4 sommets, 6 arètes, 4 triangles) est un « 4-simplexe » appelé aussi pentachore ». Cet objet a 5 sommets, et 10 arêtes qui forment aussi 10 triangles, ce qui permet exprimer la longueur des arêtes en fonction de la surface des triangles aussi bien que la surface des triangles en fonction de la longueur des arêtes. Dans un espace-temps découpé en « pentatopes », les notions de distance et de surface sont interchangeables !
Après cette rencontre extraordinaire, Newton remet à son visiteur temporel un papier intitulé « La théorie complète de la gravité quantique » à publier au XXIème siècle, mais au moment d’en découvrir l’équation fondamentale, le narrateur se réveille dans son lit…
Je le dis tout net, l’essai de Jarmo Mäkelä est un chef-d’oeuvre. Je n’ai pas la compétence d’en juger la valeur purement scientifique (voir les nombreux commentaires à son article si ça vous intéresse), mais du point de vue de la littérature scientifique, c’est une magnifique combinaison de fiction, de vulgarisation et de pédagogie sur un sujet aussi pointu que fondamental. Vous lisez l’anglais ? Alors lisez !
Note: titre changé le 8.8.18 de « … digital » en « … discret » car effectivement plus clair en français
Références:
- [altmetric arxiv= »1106.2541v1″ float= »right »]Jarmo Mäkelä, « Is Reality Digital or Analog?« , FQXi 2011
- George Musser « Is Reality Digital or Analog? » sur le blog Scientific American
- « Interview with Jarmo Mäkelä, the FQXI winner. » sur Zone-Reflex
8 commentaires sur “Selon Newton, l’univers serait discret”
Superbe article de Xochilipi sur ce sujet : http://webinet.cafe-sciences.org/articles/lunivers-est-il-un-hologramme/
Merci pour le lien! En effet c’est un excellent papier.
Dans la liste des autres manuscrits; j’ai beaucoup apprécié celui-ci aussi:
Quantum Theory without Quantization
Ken Wharton
Euh… Tès cher Goulu, c’est un test pour voir si on suit bien ? c’est ça ?
Ce ne serait pas Stephen Hawking plutôt que Richard ?
Mais que ça fait plaisir de voir des lecteurs si attentifs. Bien sur que c’était un test. Et si c’était une bourde, il n’en reste aucune trace 😉
Je n’y fais plus trop attention, mais il y a quelques années était comme on dit « hallucinante » la fréquence avec laquelle on s’en référait en francophonie à un scientifique anglais virtuel bien connu – dont le nom n’était ni Hawking, ni Dawkins, mais très exactement Hawkins
J’attends depuis qu’un (méta-)scientifique se penche sur la lecture à faire de cette chimère onomastique, car il est certain qu’elle est révélatrice de la perception de la science anglo-saxonne par les francophones. Mais je reste sur ma faim.
Bonjour,
Ne dit-on pas numérique plutôt que digital en français (cf en:digital vs fr:numérique ) ?
Ce qui pour le coup s’oppose bien à analogique…
Oui, mais le sens ici serait plutôt « discret » ou « quantifié », par opposition à « continu ». la question est de savoir si l’espace (et le temps) est constitué d’ « atomes d’espace » par analogie avec les quanta d’énergie.
C’est pour éviter d’avoir à introduire toutes ces distinctions que j’ai préféré conserver le mot anglais « digital » qui combine tous ces aspects.
Tout d’abord merci pour cet article qui m’a fait découvrir un texte plus qu’intéressant.
Par ailleurs, je dois avouer que j’ai également tiqué sur le terme « digital », car digital est quelque chose relatif aux doigts en français. Par contre, je vous l’accorde, cet anglicisme est utilisé à toutes les sauces et probablement compris d’une majorité de lecteur: appareil photo digital, cadre photo digital, télévision digital, etc. Mais je reste surpris que vous n’ayez pas utilisé le mot « discret » qui a bien un sens mathématique, précis et qui semble englober la notion que vous souhaitez décrire, sans ambiguïté.