D’habitude je déguste mon numéro de « Pour la Science » petit à petit pendant le mois. Mais là j’ai dévoré le numéro de décembre en quelques heures de voyage en train : il est plein d’articles passionnants sur des sujets très variés.
Dans « Le trou noir à l’origine du Big Bang« , Niayesh Afshordi, Robert Mann et Razieh Pourhasan de l’institut Perimètre proposent une idée assez stupéfiante : notre univers à 3 dimensions serait issu de l’effondrement d’une étoile à 4 dimensions en trou noir… Selon eux, mathématiquement du moins, l’horizon des événements d’un trou noir à 4 dimensions correspond notre univers à 3 dimensions, ce qui permet d’éliminer la « singularité » des trous noirs et du Big Bang en même temps, et de ne plus avoir besoin de postuler une inflation cosmique. Je ne sais pas vraiment quoi penser de cette théorie qui me sembler poser plus de questions qu’elle n’en résout, mais comme je suis en train de lire Lee Smolin "La Renaissance du Temps: pour en finir avec la crise de la physique" (2014) Dunod ISBN:9782100706679 WorldCat Goodreads Google Books qui la pousse encore plus loin, j’en reparlerai plus tard.
L’article « Produire des rayons X et gamma sur une table » m’a littéralement scotché. Kim Ta Phuoc, Cédric Thaury (tous deux du LOA) et Sébastien Corde y expliquent comment faire un synchrotron de quelques mètres de long, et à la différence de l’article précédent, l’expérience a été faite, et ça marche ! Le principe est l'accélération laser-plasma : un laser produisant des impulsions extrêmement puissantes mais tout aussi extrêmement brèves. En traversant un plasma, l’impulsion crée des ondes de densité dans le champ électrique un peu comme un bateau crée des vagues de sillage, et sur ces vagues, les électrons du plasma se mettent à « surfer », accélérant à plusieurs centaines de MeV en quelques millimètres seulement au lieu des kilomètres requis avec un accélérateur « classique ».
Par un mécanisme que je n’ai pas bien compris, tous les électrons accélèrent en fait en zigzaguant à la même fréquence, et à chaque virage émettent chacun un photon à haute énergie. On obtient ainsi des impulsions de rayons X voire rayons gamma d’une très bonne qualité, et dont la brièveté est un avantage dans beaucoup d’applications. Outre la radiothérapie, on devrait arriver bientôt à faire de la cristallographie aux rayons X sur des molécules organiques délicates, voire « in vivo ». Et quand les physiciens se mettent imaginer comment filmer des molécules dont les liaisons chimiques seraient brisées une à une, je deviens juste impatient de voir ça !
« Le plus puissant faisceau de rayons X » est un peu la réponse du berger à la berger : « mon SLAC est plus puissant que ton laser-plasma », expliquent Nora Berrah et Philip Bucksbaum. Ils décrivent comment un projet militaire de « guerre des étoiles » démarré sous Reagan a (tout de même…) résulté en quelque chose d’utile sous la forme du laser à électrons libres LCLS qui a été ajouté à l’accélérateur linéaire de Stanford pour devenir la plus intense source de rayons X artificiels. Une des applications les plus sidérantes de l’engin est la production d’ « atome creux ». C’est un phénomène incroyable : les couches électroniques sont transparentes aux rayons X, sauf la couche K, la plus interne. En exposant un atome à un flux de rayons X, les deux électrons de cette couche se font « souffler » hors de l’atome, qui devient « creux ». Deux électrons de la couche L juste supérieure vont tomber à la couche K, créant un vide de deux électrons rempli par 2 électrons de la couche M etc. Mais si le rayonnement X est suffisamment intense, la couche K se fait « souffler » au fur et à mesure, et l’atome perd tous ses électrons « par l’intérieur ». Ca s’appelle la « relaxation Auger », ça ne dure que quelques femtosecondes, et là encore les physiciens pensent arriver à « filmer » le phénomène à l’aide d’impulsions X ultra brèves.
« Martin Gardner, le jeu se poursuit » est un hommage au génial auteur de Mathématiques récréatives qui aurait eu 100 ans cette année. Sa rubrique était l’une des raisons pour lesquelles je piquais les « Pour la Science » de mon père jusqu’en 1981. il m’a fait découvrir le jeu de la vie et le pavage de Penrose entre autres choses qui m’intéressent encore aujourd’hui. L’article montre aussi comment cet autodidacte a saisi l’opportunité d’un article (sur les hexaflexagones) pour consacrer sa vie à sa passion en développant une correspondance épistolaire fertile en articles passionnants avec des gens aussi variés que Dali etc… Je suis très heureux d’avoir pu constater que cette ouverture se perpétue jusqu’à Jean-Paul Delahaye qui tient la rubrique actuellement.
Jean-Paul se demande ce mois-ci sil existe « une seule intelligence ? » La théorie des intelligences multiples d’Howard Gardner se heurte à la vision des informaticiens d’une seule intelligence, testable par le test de Turing, voire quantifiable par des taux de compression des données comme l’a proposé Ray Solomonoff. Dans cette optique, Marcus Hutter propose une mesure mathématique universelle d’intelligence : « la réussite moyenne d’une stratégie dans l’ensemble des environnements envisageables. » (voir cette vidéo). Séduisant, mais pas facile à mesurer en pratique. En attendant une meilleure idée, Hutter propose un prix de 50’000€ à partager entre les auteurs de programmes capables de comprimer le contenu de la Wikipédia le mieux possible. Il explique est que pour bien comprimer (=résumer) des données, il faut les comprendre. Je vais évidemment m’attaquer à ce challenge, je vous en recauserai en 201x …
Intelligence toujours dans « une intelligence d’éléphant » où Anna Smet, Catherine Hobaiter et Richard Byrne font le point sur les capacités cognitives des pachydermes. Il s’avèrent qu’ils sont capables de distinguer les ethnies des humains d’après l’habillement, de reconnaître plus d’une centaine de congénères d’après les infrasons qu’ils produisent, et il semblerait bien que ce soit les seuls animaux qui aient certains égards pour les squelettes de leurs ancêtres. Un article émouvant et qui pousse évidemment à la réflexion sur nos intelligences naturelles et artificielles.
Pour terminer sur une note ludique, nos amis d’idphys signent un article sur les « batailles de toupies » type Beyblade qui enchantent nos bambins. (c’est encore la mode cette année ?) Les caractéristiques des toupies leurs confèrent des avantages et inconvénients à bien balancer par rapport aux toupies adverses lors d’un combat. Me suis demandé si des toupies « tippe-toppe » ne rendraient pas le jeu encore plus « intéressant »…
Bref, que des bonnes choses dans ce numéro. Foncez chez votre marchand de journaux !
Commentaire sur “Pour la Science de Décembre”
La question d’un big crunch précédant le big bang et permettant de se passer de l’inflation (introduction ad’hoc sans raison mais acceptée par les cosmologistes pour résoudre la question de l’Horizon et « hélas » mathématiquement enrobée par Andreï Linde) est ancienne (20 ans). Ces développements mathématiques nouveaux son passionnants ils simplifient utilement la question … Dans le même ordre d’idées – toute théorie doit au minimum rendre compte des faits, avant de s’essayer d’en prédire – le travail récent sur « Lianakea » mériterait un coup de zoom sagace et vulgarisateur de votre part.