Guy m’a demandé ce que je pensais de la technologie de Sun Catalytics, développée par l’équipe de Daniel Nocera au MIT, avec qui le groupe indien Tata vient de signer un accord de partenariat [1]. Alors voilà d’abord les faits:
- Le moins qu’on puisse dire, c’est que le buzz sur cette annonce fait un beau méli-mélo entre énergie solaire et hydrogène, allant jusqu’à annoncer qu’on fera de l’électricité avec une simple bouteille d’eau l’année prochaine [2].
- Il y avait déjà eu un buzz similaire en 2008 suite aux publications de Nocera sur le même sujet [4]
- Nocera a déposé un brevet [5] en 2010 contenant 234 revendications (!) couvrant pratiquement tous les aspects de la photolyse de l’eau, mais ne fournissant aucune information claire sur les nouveautés apportées par rapport aux publications de 2008. Rien non plus dans les publications du labo bien qu’on nous annonce un nouvel article dans Nature.
- Par contre Nocera est un excellent communicateur sur le sujet général du solaire comme source d’énergie du futur, et sa production décentralisée, comme on le voit par exemple dans cette conférence (en anglais)
Et voici ensuite ce que j’en pense:
- Pour l’instant, la découverte de Nocera marche sur quelques cm2 dans un labo. Il sait « pourquoi« , c’est magnifique, mais de nombreuses histoires comme celle des « cellules de Grätzel » montrent que le chemin jusqu’au marché est long et difficile… Il ne suffit pas d’être bon aujourd’hui, il faut maintenant résoudre plein de « comment » (comment faire pour que l’eau ne gèle pas dans le panneau en hiver…) et il faudra avoir les meilleures réponses aux « combien » quand le produit sortira, disons dans 10 ans.
- Dans 10 ans, les panneaux photovoltaïques auront un rendement de l’ordre de 30% et pourront enfin régater avec les bêtes miroirs utilisés dans le solaire thermodynamique. Le rendement de l’électrolyse de l’eau sera de l’ordre de 80%, donc le système de Nocera doit être aujourd’hui capable de convertir 24% de l’énergie solaire en hydrogène à un prix inférieur aux panneaux photovoltaïques dans 10 ans, qui sera de quelques dizaines de cents par Watt de puissance installée, sans parler des solutions concurrentes [6] comme Hydrogen Solar (tiens, Grätzel fait ça aussi…)
- Je ne suis pas convaincu qu’il faille stocker l’énergie solaire. En effet, la courbe de production du solaire coïncide bien avec la courbe de consommation d’électricité, donc on peut vendre le solaire à bon prix et ne pas perdre de rendement du au stockage. J’avais expliqué ça ici. Pour fixer les idées, une bonne électrolyse a un rendement de 80% et une bonne pile à combustible de 70%, donc on ne récupère que 56% de l’énergie stockée dans l’hydrogène. C’est la raison pour laquelle on ne fait pas l’hydrogène comme ça.
- Je ne crois pas non plus à la production décentralisée d’énergie. Le coût de l’équipement nécessaire pour produire, stocker et restituer X kilowattheures est largement supérieur au coût d’une installation de X mégawattheures /1000 ou de X GWh/1’000’000, y compris les frais de transport. Dans l’énergie, les économies d’échelles marchent à fond, même pour le solaire.
- Et justement, l’intérêt de l’hydrogène tient essentiellement au transport d’énergie car on en stocke l’équivalent de 31.6 KWh par Kg. Utile dans une fusée ou un avion, peut-être dans une voiture, mais pour stocker l’énergie dans une maison il y a peut-être mieux, et moins explosif…
En bref comme scientifique je veux en savoir plus, comme ingénieur je me réjouis qu’un industriel comme Tata vienne contribuer à l’industrialisation, mais comme manager consommateur je veux juste savoir : « combien ça coûte ? »
Références:
- « Tata & le MIT travaillent sur un catalyseur à bas coût » sur enerzine.com
- « A bottle of wastewater could be powering your house by next year » sur dvice.com
- Jean-Luc Goudet, « Bientôt l’hydrogène pour stocker l’énergie solaire ? » 3 août 2008 sur Futura-Sciences
- Kanan M.W., Nocera D.G.In Situ Formation of an Oxygen-Evolving Catalyst in Neutral Water Containing Phosphate and Cobalt« , Science 2008, 321, 1072-1075
- Nocera et al. « CATALYTIC MATERIALS, PHOTOANODES, AND PHOTOELECTROCHEMICAL CELLS FOR WATER ELECTROLYSIS AND OTHER ELECTROCHEMICAL TECHNIQUES » brevet WO/2010/042197
- Alexandra Goho « Solar Hydrogen-The search for water-splitting materials brightens up« , 2004, Science News, (liens vers d’autres recherches et entreprises dans ce domaine)
6 commentaires sur “Sun Catalytics : du soleil à l’hydrogène sans passer par l’électricité ?”
Que penser d’une piste explorée en Norvège pour exploiter la pression osmotique existant entre un flux d’eau douce et d’eau salée dans le cadre des énergies renouvelables ? Voir à ce sujet un article dans « La recherche » du mois de décembre.
(C’est toujours bien d’ajouter un lien : http://www.larecherche.fr/savoirs/technologie/energie-osmose-avenir-01-12-2013-165015 )
J’ai déjà vu passer ça il y a … 4 ans : http://masdepujol.free.fr/presse/midilibre_2009_11_02_Ils_changent_eau_salee_en_electricite.pdf
On y parle de rendements de 5 W / m2 , donc il faut un kilomètre carré (1 millions de m2) de membrane (même si on l’enroule) pour produire 5MW comme une grosse éolienne, et 200 km2 pour faire une centrale thermique …
C’est le problème de toutes les énergies renouvelables : elles sont peu denses et sont « surfaciques » : leur coût est quasiment proportionnel à leur puissance, alors que les énergies fossiles sont « volumiques » : une centrale de 1GW ne coute pas 10x plus qu’une de 100MW, mais peut-être juste 5x plus …
« Je ne crois pas non plus à la production décentralisée d’énergie. Le coût de l’équipement nécessaire pour produire, stocker et restituer X kilowattheures est largement supérieur au coût d’une installation de X mégawattheures /1000 ou de X GWh/1’000’000, y compris les frais de transport. Dans l’énergie, les économies d’échelles marchent à fond, même pour le solaire. »
Vous oubliez ici une seule chose: c’est que la surface d’exposition au soleil n’a d’intérêt que parce qu’elle est disponible partout et pour chacun. La décentralisation a l’intérêt de ne pas avoir l’inconvénient écologique de l’implantation d’une grande surface de panneaux solaire dans le cadre d’une « Centrale », alors que cette surface est déjà disponible sur le toit des maisons.
Les économies d’échelles peuvent par contre se faire à un autre niveau: constitution de coopératives de production d’énergie pour mutualiser les couts par exemple…
Par contre je suis d’accord que la distribution via un smart grid est plus efficace que le stockage.
Cependant on peut aussi envisager que le stockage puisse être enclenché en cas d’absence de demande sur le réseau par exemple. Pourquoi une technologie en exclurai une autre?
D’après http://nextbigfuture.com/2011/04/artificial-leaf-follow-up.html , le rendement des cellules Nocera est de 5%. Ca a beau être soit disant 5 x meilleur que la chlorophylle, C’est 3 à 4 fois en dessous du photovoltaïque…
C’est amusant de voir que Tata se retrouve régulièrement mêlé (j’aimerais bien savoir s’ils sont au courant, en fait) à des partenariats sur des projets ré-vo-lu-tion-naires. Le dernier exemple que j’ai en tête est celui du moteur à air comprimé de Guy Nègre …
Diantre, merci d’avoir ainsi fait cette enquête et donné votre avis cher Philippe !
Espérons donc bientôt avoir les réponses aux « comment » et « combien », le « pourquoi » semblant déjà si évident…