Vu la semaine passée dans le torchon du coin café un article modèle, repris de partout sans la moindre analyse, ni même changer le titre : « Fumer rend idiot, c’est prouvé !« .
« Modèle » car exemple typique de vulgarisation scientifique totalement à côté de la plaque. L’étude [1] effectuée par Mark Weiser et ses collègues sur les recrues israéliennes montre bien une corrélation entre le fait de fumer et un Q.I. moins élevé.
Mais il ne prétend absolument pas qu’il existe une relation de causalité, et encore moins dans le sens affirmé par le titre. Le résumé de l’article scientifique se termine par suggérer une relation exactement inverse :
Les adolescents à QI faible devraient être ciblés par les programmes de prévention du tabagisme.
La recherche ne montre pas du tout que « fumer rend idiot », mais plutôt qu’ « être idiot rend fumeur », pour conserver l’excès dans les formules. On a donc ici des journalistes qui utilisent un résultat scientifique en inversant totalement ses conclusions pour le faire correspondre à leur préjugé infondé.
Cette erreur est hélas très courante, et souvent beaucoup plus insidieuse. Lorsqu’on remarque une relation entre deux événements, on ne peut s’empêcher de supposer une relation de cause à effet. Mais cette causalité est beaucoup plus difficile à démontrer que la corrélation, car il faut par exemple prouver que ce n’est pas un troisième événement insoupçonné qui cause les deux premiers. Dans l’étude en question, c’est peut-être le fait de provenir d’un certain milieu social qui défavorise à la fois le travail intellectuel et valorise le tabac, ce qui pourrait causer la corrélation constatée sans aucune relation de cause à effet ni dans un sens, ni dans l’autre…
Tenter d’expliquer les stats aux journalistes de torchon de coin café, c’est mission impossible. Mais vous, amis lecteurs, s’il vous plait, faites attention à la causalité…
Référence :
- Mark Weiser et al. « Cognitive test scores in male adolescent cigarette smokers compared to non-smokers: a population-based study« , 17 Nov 2009, Addiction Volume 105 Issue 2, Pages 358 – 363
14 commentaires sur “"Fumer rend idiot, c’est prouvé!". Au contraire …”
Mes observations personnelles n’ont pas de valeur scientifique, mais j’ai remarquée que les fumeurs sont parfois un peu bêtes. On dirait qu’ils ont le cerveau englués dans le goudron dans une discussion sur toutes sortes de sujets. Je crois cette étude, sans aucun doute. Cependant, il est impossible de savoir si fumer rend bête ou si être bête rend fumeur. Il y a sûrement un peu des deux. La cigarette, tout comme l’obésité, détériore l’état de santé général. Il n’y a pas de raisons de penser que le cerveau ne soit pas affecté.
Le Q.I. n’est pas une méthode infaillible pour mesurer l’intelligence. On sait bien qu’il existe plusieurs formes d’intelligences. Mais le Q.I. mesure quand même quelque chose: la pensée logique, la capacité à résoudre des problèmes complexes, l’intelligence spatiale, etc.
Par ailleurs, il est impossible de dire si le Q.I. est relié au milieux socio-économique. Il est insensé de critiquer l’étude sur le tabagisme et ensuite d’affirmer ce genre de choses. Quelqu’un peut avoir un faible Q.I. à cause de la pauvreté. Mais il peut aussi être pauvre à cause de son faible Q.I. Ça va dans les deux sens. L’intelligence est aussi génétique et héréditaire. La part d’acquis est d’inné n’a jamais pû être clairement établie.
Il doit tout de même être possible de dénicher des fumeurs intelligents, comme Churchill ou Beckett. La nicotine agissant comme un stimulant neuronal, on peut envisager que les idiots qui se mettent à fumer continuent de la faire car ils sentent combien fumer les rend intelligents?
J’espère qu’il existe des fumeurs intelligents !!
Mais pour ce qui est de la « stimulation neuronale », personnellement j’ai plutôt l’impression d’avoir l’esprit empâté après une cigarette, et non la sensation d’être plus intelligent.
Et à propos de corrélation :
http://xkcd.com/552/
En même temps le QI n’a jamais mesuré autre chose que le QI, et non l’intelligence comme on aimerait bien nous le faire croire. Il a d’ailleurs plus souvent tendance a montré le milieu social dans lequel vivent les sondés, mais c’est tellement plus facile de les faire passer pour des idiots.
L’article et plus généralement la littérature scientifique parle plutôt de « tests cognitifs » que de tests d’intelligence.
Je suis personnellement aussi assez critique avec les tests de Q.I. (voir https://drgoulu.com/2009/06/10/126421806-combien/ ) mais bon, c’est une façon rigoureuse de mesurer « quelque chose » de lié à une faculté à la fois très abstraite, très utile et très liée au cerveau de l’humain et de ses cousins proches…
Ma critique n’était pas du tout orienté contre vous, mais plus contre les chercheurs de l’enquête.
Quel est le présupposé de cette enquête? Pourquoi diable regarder la corrélation entre les tests cognitifs et le fait de fumer des cigarettes? Et pourquoi communiquer sur cette étude (il est assez rare que les journalistes les trouvent tout seul en écumant la littérature)? Le QI corrèle avec de nombreuses grandeurs, revenu des parents, milieu social et j’en passe…
Après avoir lu l’abstratct j’aurais donc plutot tendance à blamer directement les préjugés infondés des chercheurs plutot que ceux des journalistes (même si ils ne sont pas tout blancs non plus).
Il y a probablement un « présupposé », mais pas forcément, ça peut être de la « science pure », dans la mesure ou il faut bien commencer par découvrir une relation entre deux trucs avant de pouvoir étudier cette relation…
Je suis un peu de mauvaise foi : j’avais adoré un article dans le « Journal of Irreproductible Results » qui analysait les corrélations entre le cancer et le prénom des patients, dans le but de compléter toutes les études de corrélation entre le cancer et autre chose 🙂
En pratique, il me semble plus probable que les chercheurs ont passé toutes les données des questionnaires aux recrues israéliennes à la moulinette et on « découvert » cette corrélation qui n’avait pas encore été publiée… Ca fait un article vite fait pas cher, et un buzz mondial de la part de ceux qui ne l’ont pas compris…
Pourquoi avoir mené cette étude ? Parce que la nicotine est une drogue agissant sur le cerveau !
On peut comparer avec le THC : Si tout le monde s’accordera à dire qu’il rend idiot à cours terme lors d’une consommation régulière, des études démontrent aussi des effets à long terme, voir irréversibles (Mais comme c’est illégal dans la plupart des pays, ça ne choque personne).
Ceci dit, du point de vue du fumeur, il est préférable que ce soit l’interpération des journaux qui prévaille. Elle est d’ailleurs moins offensante. J’aime mieux me dire: « Mon QI est moins élevé parce que je fume » que « Je fume parce mon QI est moins elevé ». Dans le premier cas, cela me permet d’espèrer qu’un arrêt du tabagisme provoquerait une augmentation de mon QI (un retour à mon vrai potentiel intellectuel) – une formidable motivation pour se débarasser de la clope – tandis que, dans le deuxième cas, un tel espoir est, hélas, vain.
Ca me rappelle une étude qui montrait une corrélation entre QI et myopie… Mais bon, les journaux ne sont tout de même pas allé jusqu’à titrer: « Etre myope rend intelligent, c’est prouvé! »
C’est vrai qu’il convient d’être prudent dans l’interprétation de ce résultat. Par contre, le Dr Goulu tombe lui aussi dans le piège, en affirmant que la recherche montre « plutôt qu’être idiot rend fumeur ». Il se peut que la causalité soit dans l’un ou l’autre sens. Il est tout aussi probable qu’elle aille dans les deux sens à la fois: un QI moins élevé rendrait plus vulnérable au tabagisme, et, une fois celui-ci enclenché, il pourrait impacter négativement les performances intellectuelles. Une troisième explication, non explicitée par l’article, pourrait être une cause commune, telle, par exemple, que le statut social des individus étudiés.
Même s’il ne la prouve pas, l’article suggère quand même une relation causale entre QI réduit (cause) et tabagisme (effet), puisqu’une relation dose-effet a été trouvée par l’étude. Plus on fume de cigarettes, plus le QI est bas. L’explication inverse semble moins plausible (même si elle ne peut être exclue). Cette relation de causalité pourrait être l’expression de la forte dissonnance cognitive induite par l’addiction au tabac, qui péjore les capacités cognitives et comportementales du fumeur, ainsi que cela a déjà été mis en évidence dans d’autres études. Notamment, les gros fumeurs consacrent une partie importante de leur capacité intellectuelle à « rationnaliser » leur tabagsime, en entretenant perpétuellement le déni de la réalité de leur addiction, en ayant recours à toutes sortes de stratagèmes fantaisistes. Cette situation s’oppose à l’intelligence, définie comme la « capacité de comprendre ».
Dans le même genre, Björn m’avait dit que si on trie des pièces de monnaie en les lançant, et ne retenant que celle qui tombe sur « face », la dernière à tomber sur face par des sélections successives n’est pas forcément la championne du « face » pour autant…
Théorie (causale) personnelle : une importante part des abominations humaines (le racisme par exemple) nait d’une mauvaise compréhension des rapports de corrélation.