Le 20 juillet 1969, j’avais 5 ans et mes parents m’ont exceptionnellement permis de rester debout pour suivre l’alunissage d’Apollo 11 et les premiers pas d’Armstrong et Aldrin sur la Lune. Ces images restent d’autant plus gravées dans ma mémoire qu’à l’époque, mon avenir était tout tracé : je serai astronaute!
Les choses étaient claires : au rythme où la conquête spatiale avançait dans les années 1960, on irait en vacances sur la Lune en 2000 après avoir pris un vol stratosphérique Genève-Miami si on avait les moyens de ne pas se trainer en Concorde… Finalement, « astronaute » allait devenir une profession trop commune, alors j’ai laissé Claude Nicollier devenir le premier astronaute suisse.
40 ans plus tard, il n’y a que 12 humains à avoir passé quelques heures sur la Lune. Au 10 décembre 2006, seuls 1000 personnes avaient échappé à l’attraction terrestre, totalisant tout de même près de 82 années de missions spatiales. Il faut dire que ça coûte cher : le programme Apollo a coûté l’équivalent de 200 milliards de dollars actuels, la navette spatiale américaine 30 milliards + 1 milliard pour chacun des 130 vols effectués jusqu’ici, la station spatiale internationale ISS environ 100 milliards. Avec les programmes russes, européens et chinois, le coût total de la « conquète spatiale » par les humains doit dépasser les 700 milliards de dollars, et quelques dizaines de vies humaines, accessoirement.
Qu’a rapporté cet investissement gigantesque :
- 382 kg de cailloux lunaires très instructifs.
- Quelques drapeaux américains plantés sur la Lune, d’une valeur patriotique inestimable en période de guerre froide.
- La réparation et modernisation de quelques satellites en orbite comme Hubble, qui auraient été perdus sans ça
- Beaucoup d’expériences sur la vie en apesanteur et dans l’espace, dont ma préférée est celle-ci:
- Beaucoup de déceptions aussi : aucune usine de l’espace ne produit les matériaux ou les médicaments qu’on nous avait promis
- Mais aussi et surtout …
Les « retombées technologiques »
La quantité de technologies qu’il a fallu développer pour envoyer un véhicule habité dans l’espace est proprement astronomique. Les micro-ordinateurs, les piles à combustibles, les matériaux composites, les systèmes de recyclage d’eau et d’air et un nombre énorme de gadgets divers.
Une des retombées inattendue dont j’ai entendu parler directement par son inventeur est l'algorithme de Viterbi. Andrew nous a expliqué que ses travaux sur la transmission de données en milieu bruité remontaient à la télémétrie des premières fusées. Aujourd’hui ses algorithmes sont gravées dans le silicium de nos téléphones portables.
Ce sont ces retombées technologiques qui ont permis aux contribuables d’accepter le coût pharaonique des missions habitées. Mais pour retourner sur la Lune aujourd’hui, il n’y a plus besoin de développer de nouvelles technologies : elles existent. Le projet Orion revient même plutôt à la technologie d’Apollo qu’à celle de la navette.
En fait c’est même pire que ça : les technologies issues du spatial ont tellement progressé qu’il est aujourd’hui difficile de justifier l’envoi d’humains dans l’espace. On peut désormais presque tout réaliser avec des missions automatiques, beaucoup moins couteuses et qui n’exigent pas de mettre le drapeau national en berne pendant 3 jours en cas d’échec.
Pratiquement toutes les technologies spatiales dont nous bénéficions directement (météo, GPS, télévision etc. ) viennent de satellites artificiels et tout ce que nous savons aujourd’hui du système solaire nous a été communiqué par des dizaines de sondes comme Voyager, Phoenix Cassini, Messenger et toutes les autres.
Au total les missions automatiques ont couté à peu près autant que les vols habités mais en terme de résultats scientifiques et économiques, les robots sont 10 à 100 fois plus productifs que des astronautes.
Alors pour quoi retourner sur la Lune ?
Une enquête de la NASA [1] a répertorié 181 choses intéressantes à faire sur la Lune, réparties en 6 thèmes.
- connaissances scientifiques : installation d’instruments de mesure, de télescopes et d’expériences de physique
- expansion économique : systèmes d’observation et de mesure de la Terre fournissant des données commercialisables, pour beaucoup en relation avec le climat
- civilisation humaine : recherche de sites et de matières permettant l’implantation d’une base habitée permanente
- préparation à l’exploration : recherche de sites et de matières permettant le lancement de missions plus lointaines
- partenariat global : collaborations avec d’autres organisations ou pays (il y en a 10 sur 181…)
- engagement public : actions (30 sur 181…) permettant d’impliquer la population, comme des webcams sur la Lune ou des manifestations sportives à faible gravité
Après un survol rapide des 181 « objectifs lune », il me semble que les seuls qui demandent réellement une présence humaine sur la Lune sont ceux dont le but est de permettre une présence humaine sur la Lune… Les objectifs scientifiques et économiques représentant la grande majorité des 181 raisons d’aller sur la Lune peuvent pratiquement toutes être réalisées par des missions automatiques dès aujourd’hui.
Pour justifier le coût colossal d’une base habitée sur la Lune, il faudra trouver un réel retour sur investissement économique. Outre le tourisme de milliardaires, ce sera peut-être un jour l'Helium 3 lunaire qui alimentera nos centrales à fusion thermonucléaire, mais cette éventualité est encore bien lointaine.
Références
- NASA « Lunar Exploration Objectives« , 2006
- Françoise Harrois-Monin « Pas d’hommes dans l’espace! », interview de Jacques Blamont, 21/09/1995, L’Express
- La Lune: mine scientifique et tête de pont de l’exploration spatiale habitée, Le Matin, 17 juillet 2009
13 commentaires sur “Pour quoi retourner sur la Lune?”
Vous parlez de 700 milliards pour toute l’exploration spatiale.Ça ressemble au budget annuel de la défense américain. Il me semble que l’argent est mieux dépensé à faire avancer l’humanité en explorant le cosmos.
Très intéressant ce retournement de paradigme lié à l’évolution des technologies [NB : alors c’est toi « le bloggeur suisse » cité par Le Monde ?]
on dirait 😉 D’ailleurs grâce à ça j’ai été contacté par l’émission Nouvo pour ce reportage http://www.nouvo.ch/2013/03/et-si-imprimait-sur-la-lune qui a fait un lien ici aussi. (Merci !)
Aux visiteurs qui arrivent depuis Nouvo, je recommande aussi cet article https://drgoulu.com/2012/09/05/un-petit-pas-pour-lhomme/ qui explique entre autres pourquoi envoyer des hommes sur Mars n’est pas une petite affaire.
Moi!Moi!,je crois que si,a leurs dernier voyage,les personnes de la lune,leurs auraient fait comprendre,que nous serions mieux de nous occupez de notre planète,qui est en mauvaise condition.Si la même argent était distribuer aux pauvres ici,et ils cherche de l »eau sur la lune,nous en avons ici,et on n’est même pas capable d’empêcher les marcheurs dans les pays chaud,pour se procurer un 5 gallons d’eau potable.Comme les terriens sont des inventeurs,pourquoi pas trouver une patente pour que l’eau coule a leurs portes! Des pays avec des dettes énormes,veulent en avoir encore, pas pour donner a nos pauvres,mais aller demander a Pierrot sur la lune,la permission d’avoir une marche d’escalier,( La lune ) pour monter a MARS! POURQUOI FAIRE???,6 mois aller,6 mois revenir,si les moteurs ronronnes toujours.Faut-il avoir des pauvres,pour voir qu’ils y a des riches??Excusez mes fautes,et ma composition,j’ai 80 ans,quand j’étais enfants,les maisons avait un poêle pour le bois,et lampe a l’huile pour éclairer,le beurre fait maison,le pain fait maison,notre propre viande,et les enfants aussi fait maison.Salut,je ne me trouve pas chanceux d.être sur une planète mal en point.Bye Hendidi.
Si l’on hésite pour retourner sur la lune c’est parce que le prochaine astronaute sera le 13ème 😉
Ben voui, les voyages spatiaux habités ont des effets indirects sur l’évolution technologique mais n’ont aucun intérêt en soi. Il reste le rêve. Perso, je rêve qu’on investit tout cet argent pour combattre la malnutrition, le paludisme, le SIDA, le cancer (avec en prime tout plein de retombées technologiques bien pratiques) pendant que les ploucs et ces messieurs les présidents des pays riches rêvent à faire joujou dans l’espace. On a les rêves qu’on peut…
Je suis d’accord concernant Mars: les hommes on trop soif de voyage et de connaissance pour ne pas aller sur mars lorsque la technologie le permettra. Je pense que cette idée peut aussi s’appliquer à la Lune, je crois que c’est dans l’ordre des choses même si je ne pense pas que ce sois pour tout de suite. Pour encore parler de Mars, je ne crois pas que l’on pourra éternellement envoyer des robots, parce qu’il ne remplace pas l’esprit humain d’un chercheur.
Je suis étonné qu’on n’ait pas encore mis en chantier une base spatiale sur la lune, car ça coûtera quand même moins cher d’envoyer des choses (y compris automatisée) depuis la Lune que depuis la terre. Ceci dit la lune est un environnement hostile puisque sans atmosphère, non ?
Une base spatiale sur la Lune serait en effet terriblement efficace si on ne devait pas y amener depuis la Terre les fusées à lancer.
C’est d’ailleurs pourquoi on recherche désespérément de l’eau lunaire. Arroser les tomates des astronautes est un objectif secondaire, le principal c’est de produire de l’hydrogène et oxygène liquide pour lancer des fusées qu’on amènerait vides et légères à la station service lunaire… Sans carburant local, un lancement depuis la Lune n’a aucun intérêt. Peut-être que la faible gravité permettrait d’assembler un gros vaisseau plus facilement que dans l’apesanteur.
Entre parenthèses, c’est aussi pour ça qu’on cherche de l’eau sur Mars. Si on arrive pas à produire là-bas le carburant pour le retour des marsionautes, il faudra probablement assembler en orbite une fusée énorme qu’on remplira en faisant plusieurs voyages depuis la Terre.
Tout ça parce qu’il faut ramener les astronautes sur Terre, et que le billet de retour est beaucoup plus cher que le billet aller simple. Dans le temps on envoyait des forçats coloniser les terres hostiles, pas des héros…
Je rappelle jusqu’il y a des volontaires pour l’aller simple, comme Nicolier.
Je pense que c’est de loin la meilleure solution actuelle pour faire rêver… Et pleurer. Mais bon on meure bien pour des choses moins extraordinaires…
Extrêmement intéressant de réfléchir aux coûts astronomiques des missions spatiales. La seule chose qui n’a pas de prix, c’est le rêve, celui de (re)décrocher la Lune. Quelle tristesse d’imaginer que les explorateurs du futur seront des robots ! C’est un peu comme si on envoyait R2D2 passer des vacances au soleil à notre place. Le rêve par procuration, non merci.
Reste à savoir si ça vaut le coût, juste pour rêver…
Heureusement, les Etats-Unis ne se sont pas encore lassés de planter des drapeaux 😉
En 70, la moitié des petits garçons voulaient devenir astronautes. Combien aujourd’hui ? Après Armstrong et Aldrin, comment s’appellent les 10 autres personnes qui ont marché sur la Lune ? oubliés ? Quel prestige y’aura-t-il à rééditer un exploit vieux de 50 ans? Le rêve est terminé.
Aller sur Mars, ça c’est du nouveau, du difficile, de l’aventure humaine médiatisable. Mais honnêtement, c’est bien le risque de ne pas en revenir qui tiendra le public en haleine, pas l’attente de résultats scientifiques fracassants.
Salut,
Effectivement, si les astronautes pouvaient nous ramener plein d’hélium-3 contenu dans le sol lunaire ça ferait baisser son prix exorbitant pour les chercheurs en cryogénie qui fabriquent des réfrigérateurs à dilution hélium-3 et helium-4 !!
Quant à l’alimentation en hélium-3 d’éventuelles centrales à fusion nucléaire, c ‘est pas encore au programme pour le siècle en cours vu la puissance nécessaire :-). Si ITER puis DEMO fonctionnent au Deutérium et Tritium, ça sera déjà pas mal !