Si un petit enfant vous demande « pourquoi il pleut ? », ne vous lancez pas immédiatement sur la physique des nuages car la réponse attendue est peut-être « pour arroser les plantes ».
Même adulte, lorsqu’on vous pose une question du type « pourquoi avez vous acheté une nouvelle voiture ? », il n’est pas clair si la question porte sur la cause ou sur la finalité. Faut-il répondre « parce que la vieille est fichue » ou « pour aller à mon travail » ?
Donner une seule de ces réponses suffit souvent, l’autre étant implicitement liée par une relation logique implicite : « comme j’ai besoin d’une voiture pour aller travailler, et que la vieille est fichue, j’ai du en acheter une nouvelle ».
La question « pourquoi ? » recouvre donc en langage courant les deux concepts très distincts en logique que sont la cause et la finalité. A mon humble avis, bon nombre d’incompréhensions et de quiproquos pourraient être évités par l’utilisation judicieuse d’un simple espace pour distinguer:
- « Pour Quoi ? » qui suppose une réponse commençant par « pour » suivi d’une finalité.
- « Pourquoi ? » qui cherche une cause, donc attend un « parce que », réponse suivie souvent d’un autre « pourquoi … ? » remontant à la cause de la cause. C’est le principe des « 5 pourquois de Toyota ». (*)
Mais en pratique, il est très difficile de remonter à la « cause première » sans invoquer une finalité. Voyons ceci avec la célèbre photo ci-contre. Pourquoi ce soldat meurt-il ? Parce qu’une balle l’a transpercé. Pourquoi ? parce qu’un ennemi lui a tiré dessus. Pourquoi ? parce que l’un occupait le Vietnam de l’autre. Pourquoi ? parce que le gouvernement américain avait décidé de défendre le gentils du Sud contre les méchants du Nord. Là on est déjà en train de mélanger cause et but. Encore un « pourquoi ? » et on est à court de causes, condamnés à répondre par un but : « pour …. » (je ne me risquerai pas à proposer de réponse, comme scientifique, ce sont les causes qui m’intéressent…) La réponse proposée au bas de cette variante de l’affiche est exemplaire à ce titre : Le mot anglais « because » signifie « parce que » mais souligne la notion de cause alors que la proposition « il y a de l’argent à faire » dénote clairement un but supposé.
L’idée selon laquelle un but peut devenir une cause choque le scientifique parce qu’elle inverse le principe sacro-saint de la causalité : en physique, les causes précèdent les conséquences (du moins si le temps est irréversible…). La démarche scientifique ne concerne donc que le « pourquoi » sans espace : la recherche « pure » ne recherche que les causes qui font que les choses sont comme elles sont, et pas autrement.
Par contre, la recherche « appliquée » et la technique poursuivent des buts : « pour quoi » optimiser des profils d’hydrofoils ? ce n’est pas parce que les équations de Navier-Stokes ont alors de plus jolies solutions, c’est pour aller plus vite sur l’eau.
Enfin, les petits enfants et les religieux ont ceci en commun qu’ils présupposent que tout a une finalité : le monde est comme ça parce qu’il a été créé pour … (complétez en fonction de votre religion préférée).
Ce double sens du « pourquoi » est à mon humble avis une des sources majeures d’incompréhension, voire de conflit dans les discussions de sujets fondamentaux entre personnes de bonne foi. Voici donc ma bonne résolution 2009.23 : distinguer « pourquoi » et « pour quoi ». Et maintenant, je peux enfin réaliser la 2008.512 : écrire l’article « pourquoi je blogue ».
Références :
Note* : Une des questions que je me pose est de savoir pourquoi (cause…) les langues que je connais n’ont pas deux mots distincts pour ces questions distinctes, comme si les idées de cause et de but étaient intimement liés dans notre esprit. Est-ce différent dans d’autres langues ou cultures ? En japonais par exemple ? Quelqu’un sait ?
24 commentaires sur “Pourquoi / Pour Quoi ?”
En espagnol, il y a
– por qué (pourquoi) et
– para qué (pour quoi)
En espagnol on distingue :
– por qué (pourquoi) ? Réponse : « Porque… » qui signifie « parce que… »
– para qué (pour quoi) ? Réponse : « para… » qui signifie « pour… »
Je pense que l’Espagnol fait la différence entre Por qué (cause) et Para qué (finalité).
En allemand : warum pourquoi et wozu dans quel but.
En anglais, on dit « what for »? il existe bel et bien deux mots mais uniquement dans le sens causal, et non pas dans celui du questionnement.
Je pense aussi que cette confusion est source de nombreuses incompréhensions. En tout cas merci pour cette synthèse.
De la même manière, la question « comment ca marche? » peut appeler deux réponses différentes selon l’interprétation :
1-Quels sont les phénomènes en jeu?
2-Comment dois-je m’y prendre pour le faire fonctionner?
La langue francaise est mal fichue hein?
Et bien en Français si on veut être précis on dit :
1-dans quel but ? = pour quoi ?
2-pourquoi? = pourquoi ?
seulement qu’on on pose pourquoi 2 on risque de la comprendre des deux manières.
En anglais, théoriquement, on utilise « What for ? » pour « Pour quoi ? », et « why ? » pour « pourquoi ? ».
Mais en français aussi, à l’écrit du moins, on peut distinguer la cause et la finalité dans certains des cas.
« Pour quoi faire ? » s’écrit comme je viens de le faire.
en japonais plein de mots interrogatifs commencent par l’équivalent de « quoi » = « nan »
« pourquoi » se traduit « doushite ».
« pour quoi » serait aussi doushite, mais le Japonais n’est pas une langue super précise. Les temps de conjugaison peuvent se voir comme « ce qui est accompli » regroupant le passé, l’imparfait, le passé simple… et « le non accompli » regroupant futur, présent, futur antérieur… youpi !
très interessant article 🙂
le mot « plus » aussi engendre nombre de problèmes. Parfois il veut dire + , et d’autres fois « y’en a pu ».
Il existe un « dans quel but ? » et un « pour quelle raison ? ». Ainsi, je ne pense pas qu’il s’agisse là d’une manque de précision de la langue française mais au contraire, d’une question encore différente.
« Pourquoi » cherche non pas une explication scientifique, mais une justification, une raison d’accepter le fait. Il appelle indifféremment un « parce que » ou un « pour ». « Pourquoi les gens meurent ? » « Pourquoi j’ai encore perdu ? » « Pourquoi tu m’as fait ça ? »
En tous cas, j’ai beaucoup aimé votre article. Merci.
Bonsoir,
en japonais, il existe de nombreuse manières de demander pourquoi, et les deux « pourquoi » abordés ici ne s’expriment pas de la même manière.
@Jikan : très intéressant. Sais-tu si les « 5 pouquoi de Toyota » sont les mêmes « pourquoi » en japonais ?
J’aurais bien aimé entendre ta réponse à la question de mon fils, au petit-déjeuner, un jour de ses 4 ans
« Et pourquoi pourquoi ça veut dire pourquoi ? »
pas mal 😉 mais es-tu sur qu’il n’y avait pas d’espace dans un ou deux « pour quoi »s ?
Et si la cause d’une action humaine n’était autre que le choix du moyen permettant d’atteindre sa finalité ?
mmmh… tu peux me le mettre en notation logique, que je voie si cette proposition est décidable ?
EN hebreu, il y a aussi deux termes: « Lamah » et « Madoua ». Je ne suis pas un hebraisant assez fin pour distinguer les cas d’utilisation, mais le premier indique le but (« Le »: vers + « Mah »: quoi), et le second plutot une cause (« Ma »: quoi + « Doua »: idee)
En hébreu Lama et Madoua sont synonymes ! Totalement ! Et ils veulent tout deux dire « Pourquoi » ! Par contre il y a aussi Lema qui equivaut a « Pour quoi »
Dans mon job, on fait de la régulation du trafic. Avec des feux. C’est une réponse typiquement de « pour quoi » mélangée: parce qu’il y a trop de véhicules et pour mieux les canaliser! D’ailleurs cela se reflète dans le travail de l’ingénieur: normalement dans le réglage, on a une consigne et on modifie des valeurs de réglages pour y arriver. Ben avec les feux c’est plus flou! On essaie de trouver des valeurs qui satisfont des besoins antagonistes pour éviter la congestion…
En effet beaucoup de conflit sont la cause d’une incompréhension sur les causes et non sur la finalité.
En espagnol par exemple, il y a une différence. L’on utilisera « por que » pour la cause, et « para que » pour le but.
C’est un bon essai à mn goût auquel j’ai pris du plaisir en le lisant 🙂