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Un temps pour l’éternité

Un temps pour l’éternité

 

 

Frédéric Leclerc m’a fait parvenir un exemplaire de son livre [1] tout neuf consacré au temps en physique. Petit par la taille (80 pages + les 25 pages de l’article qui l’a motivé [2]), ce livre est une remarquable synthèse de l’état de la recherche sur la nature du temps, que l’auteur préfère nommer la temporalité.

« Aficionado de cosmologie déguisé pour la circonstance en chroniqueur scientifique », Frédéric Leclerc s’adresse à ses amis lecteurs en les tutoyant et les emmène dans sa propre quête au travers des scientifiques contemporains qui l’ont marqué, principalement Carlo Rovelli, Alain Connes, Marc Lachièze-Rey, Etienne Klein (qui a en grande partie motivé ma propre curiosité sur le temps) Lee Smolin (dont j’ai causé ici), Sir Roger Penrose (celui des Pavages et d’un nombre incroyable d’autres choses), Sean Carroll ( grâce à qui j’avais découvert le concours fxQi sur La Nature du Temps ) et Julian Barbour (dont l’essai a gagné ce concours).

Inutile de dire que je me suis retrouvé dans la curiosité de Frédéric Leclerc pour le temps et dans certains points de vues tirés de lectures communes :

  • que les cosmologistes sont pour la plupart des gens non seulement remarquables au plan scientifique, mais aussi des communicateurs accessibles
  • que la théorie des cordes semble sans issue, et que la gravitation quantique à boucles devrait prendre le relais…
  • que des expériences comme celle du choix retardé ou celle mentionnée dans Où étiez-vous, photons ? montrent que le temps « microscopique » ne correspond pas à notre perception du temps à notre échelle
  • que le temps « macroscopique » a un lien intime avec la thermodynamique. Pour ma part, plus j’y pense plus je me dis que notre mesure du temps en secondes pourrait être à la « nature du temps » ce que la température est à la chaleur, et qu’il y ait un zéro absolu du temps…

Pourtant, je n’ai pas vraiment réussi à voir si Frédéric Leclerc est présentiste, ce qui serait normal vu l’importance de la mécanique quantique dans son livre, ou plutôt éternaliste comme je persiste à l’être sous l’influence de notre compatriote commun, Albert Einstein. Car comme dans d’autres textes inspirés par la mécanique quantique, je trouve que la Relativité est traitée un peu légèrement dans « Un temps pour l’éternité ». Il ne me semble un peu rapide de dire que puisque le temps dépend de l’observateur, il n’y a pas de temps absolu, donc que le temps n’existe pas mais « émerge » d’autres notions. Le livre mentionne pourtant la possibilité de boucles de genre temps qui me semble injustifiables sans admettre une forme d'Univers-bloc dans lequel le passé existe au même titre que le présent, mais surtout que le futur.

Mais peut-être que je me trompe et que nos positions sont plus proches, car il y a cette phrase:

La temporalité a pour effet de continuellement transformer directement le futur en passé sans jamais s’arrêter par la case présent.

ce qui est assez proche de mon intuition actuelle (qui ne vaut certainement pas tripette, comme très souvent les intuitions en physique), selon laquelle le présent serait une sorte de transition de phase entre un futur « gazeux », probabiliste et quantique et un passé « solide », déterministe et relativiste. C’est le point de vue « No Futuriste » du « Growing block »

Mais trêve de philosophie, le livre de Frédéric Leclerc se « concentre sur la physique, celle qu’on qualifie de théorique… avant-gardiste, corsée, musclée, aérienne, téméraire, exigeante, surprenante, bousculante, rêveuse et lumineuse ». Malgré un discours très clair et des notes détaillées sur les théories et expériences mentionnées, il y a quand même des passages difficiles dans le livre, qui ne se destine probablement pas au néophyte complet, mais plutôt aux personnes ayant déjà une bonne culture générale en physique. A ceux-là, ou aux néophytes qui ne veulent plus l’être, je conseille vivement ce livre.

En passant, si Frédéric Leclerc peine à situer la position de Sean Carroll, je le vois un peu comme un provocateur depuis son article [3] dans lequel il fait « émerger » l’espace du temps, alors que plusieurs articles font le contraire. Le message sous-jacent me semble être : avec un bon niveau en maths, on peut sans trop de difficultés créer des univers théoriques, mais ça ne leur donne aucune légitimité en physique. Je continue à penser qu’en définitive, ce seront des expériences qui nous diront ce qu’est le temps.

Sinon, j’ai adoré la remarque de Cédric Villani à propos du refus de Grigori Perelman de toucher le million de dollars pour avoir résolu la conjecture de Poincaré:

Avec moi, il ne faut pas toucher à Perelmann. Tout le monde peut refuser un million de dollars, moi aussi je peux le faire, mais démontrer la Conjecture de Poincaré, alors ça ! …

J’ai aussi écouté « Cavatina » de Stanley Meyers, conseillé dans le livre pour toucher l’éternité, mais bien que j’adore la guitare, c’est trop calme pour moi. Je vois plutôt l’éternité comme « Eruption » de Van Halen : une séquence d’étapes explosives, bruyantes, un rythme si rapide qu’on le perçoit à peine à travers le chaos , puis une envolée vers la complexité, puis tout s’éteint dans un froid grave, et le silence…

Frédéric m’a aussi envoyé par mail deux articles de Nicolas Gisin que j’ai lus, mais pas encore pleinement digérés. Notamment le [5], qui quantifie les systèmes dynamiques (ma spécialité dans une autre vie) avec un point de vue qui me semble venir de l’informatique théorique. Quand la digestion sera terminée, on en reparlera ici, promis.

Merci Frédéric !

Références:

  1. Frédéric Leclerc "Un temps pour l’éternité" (2018) Ic’s files ISBN:9782414258000 WorldCat Goodreads Google Books  
  2. [altmetric doi= »10.1088/0264-9381/11/12/007″ float= »right »]Connes, A., & Rovelli, C. « Von Neumann Algebra Automorphisms and Time-Thermodynamics Relation in General Covariant Quantum Theories », 1994, arXiv:gr-qc/9406019 DOI>10.1088/0264-9381/11/12/007
  3. [altmetric doi= »10.1103/PhysRevD.95.024031″ float= »right »] ChunJun Cao, Sean M. Carroll, Spyridon Michalakis, « Space from Hilbert Space: Recovering Geometry from Bulk Entanglement », 2016, . DOI>10.1103/PhysRevD.95.024031
  4. [altmetric doi= »10.1007/978-3-319-68655-4″ float= »right »]Nicolas Gisin, « Time Really Passes, Science Can’t Deny That. In Time in Physics », 2010 (pp. 1–15). http://doi.org/10.1007/978-3-319-68655-4
  5. [altmetric arxiv= »1803.06824″ float= »right »]Nicolas Gisin, « Indeterminism in Physics, Classical Chaos and Bohmian Mechanics. Are Real Numbers Really Real? »+, 2018, arXiv:1803.06824

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