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Obsédé par le Cervin


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logo avec le Cervin, mais aussi un ours ! Vous le voyez ?

Je suis accro au Cervin. Cette montagne est plus obsédante que le Devil’s Tower de Rencontres du 3ème type. Pas besoin de la sculpter en purée de patates, son image me poursuit dans une ribambelle de logos dont celui d’un chocolat mondialement connu, suisse et addictif. Et désormais, il faut que je la voie au moins une fois par an.

Pour éviter d’y succomber vous aussi, ne venez pas skier à Zermatt ! Restez dans vos stations de béton encombrées de voitures, à bouffer des frites dans des self-service, et lisez juste cet article. Parce que si vous tombez sous le charme du Cervin, vous serez condamnés à visiter des 13/20 sur les pistes, à danser en chaussures de ski, à rouler en taxi électrique et à gonfler votre budget vacances en conséquence…

Tout ça, c’est de la faute de cette montagne de 4478m que les suisses alémaniques appellent « Matterhorn », soit « corne des prés » comme l’ignorent certainement les visiteurs de Disneyland. C’est l’une des montagnes plus photographiée des Alpes* car sa forme spectaculaire se découpe dans le ciel depuis une multitude de points de vue dont l’observatoire du Gornergrat à 3089m, station terminus d’une ligne ferroviaire construite à la fin du XIXème siècle pour y attirer des hordes de touristes anglais, puis japonais entre autres.

« The Matterhorn » depuis l’observatoire du Gronergrat, par Stuck in Customs sur Flickr

A cette époque fleurissaient des projets fous, comme ceux découverts au détour d’un chemin (vers des restos…) sur un panneau d’information en anglais, traduit pour vous:

Des projets spectaculaires: la conquête du Cervin par le rail

La chronique loufoque de projets visant à développer le Cervin remonte à 1855, dix ans avant sa première ascension, lorsqu’un Alsacien a proposé la construction d’une station de ballons sur la montagne. L’idée était de faire flotter les touristes jusqu’au sommet dans un ballon à gaz attaché à un câble fixe reliant la base de la montagne à son sommet. Mais ce projet resta du domaine du rêve …

Quatre ans plus tard, l’ingénieur cantonal du Valais présenta ses plans pour un tunnel en forme de spirale avec des fenêtres offrant des vues changeantes depuis l’intérieur de la montagne (NdT : un peu comme au Jungfraujoch). Ce visionnaire conçut des wagons pour le transport des touristes sur 22 km à ciel ouvert de Zermatt au pied de la montagne, et de là dans les 15km de tunnel en tire-bouchon du cœur du Cervin jusqu’au sommet. Toutefois, les investisseurs furent sceptiques …

Un peu plus d’une décennie plus tard, la technologie ferroviaire avait avancé: le premier train à crémaillère d’Europe avait été construit sur le Rigi en 1871, et la construction de la ligne Viège-Zermatt avait commencé à la fin des années 1880. Mais avant que la ligne soit terminée, l’imprimeur et passionné de chemin de fer Caspar Leonhard Herr-Bétrix de Bienne lança un autre projet ambitieux: une extension de la ligne du Gornergrat jusqu’au Cervin! En 1890, une demande fut déposée auprès du Conseil Fédéral. Une première section prolongerait la ligne Viège-Zermatt à travers les gorges du Gorner jusqu’à Zum See. Puis les passagers sont pris en funiculaire jusqu’à Schafberg, en changeant de voiture au milieu. La troisième section transporterait les personnes en train électrique à crémaillère du Schwarzsee jusqu’à la cabane Whymper, près de l’actuelle cabane du Hörnli. De là, un funiculaire monte à un gradient vertigineux de 75° jusqu’au sommet du Cervin, doté d’un salon panoramique et d’un restaurant. Après quelques aller-retours, le Conseil Fédéral a accordé en 1892 une licence à l’ingénieur et topographe Xavier Imfeld.

Mais à ce moment l’enthousiasme du public pour les projets de construction de voies ferrées de montagne avait diminué, et les écologistes, les alpinistes et les médecins qui s’opposaient au projet eurent gain de cause (NdT voir aussi [2] )

Le panneau est illustré avec ce dessin du véhicule imaginé pour grimper le long de l’arête du Hörnli, la voie emprunté de nos jours par des dizaines d’alpinistes chaque année pour monter sur ce légendaire 4000

Détail d’un panneau d’information sur le projet du Hörnligratbahn (cliquez pour le panneau complet)

Hélas, un certain nombre en redescendent beaucoup trop vite. Plus de 500 alpinistes sont morts en escaladant le Cervin, parfois au rythme dramatique de 20 par an. Si ça vous tente, par pitié ne sous-estimez pas mon cher Cervin, et cassez votre tirelire pour vous adjoindre les services d’un guide expérimenté pour y monter. Ou alors  faites-le à la descente en vous équipant de ce qu’il faut pour rater votre suicide, comme lui :

Le sommet du Cervin vient d’Afrique !

Le Cervin passionne aussi les géologues depuis Emile Argand, qui comprit il y a environ 100 ans que les Alpes (et l’Himalaya) sont produits par la rencontre et le déplacement de plaques tectoniques sur des centaines de kilomètres. Argand étudia le Cervin dans son mémoire de 1909 [3] où il remarqua, sans gravir la montagne, qu’elle était formée de plusieurs nappes superposées : des roches sédimentaires à la base, des schistes verts au milieu, du gneiss en haut. Son interprétation de l’époque est dans les grandes lignes conforme à la vision moderne [4,5] de la formation de cette partie des Alpes, et notamment que le sommet du Cervin est fait d’une roche originaire du continent africain [6]:

L’origine de ce fait, à première vue singulier, remonte à quelque 100 millions d’années, à l’époque où l’ancienne mer Téthys séparait encore la plaque africaine et la plaque européenne. Dans cette mer, des volcans actifs recouvraient le fond marin de roches volcaniques qui venaient s’ajouter aux sédiments marins. Du fait de la dérive des continents, la plaque africaine a convergé, à travers cette mer, vers la plaque européenne, en poussant devant elle une partie des sédiments et des roches volcaniques déposés au fond de la mer. Lors de la rencontre de ces deux plaques il y a quelque 45 millions d’années, la plaque africaine a grimpé sur le bord de la plaque européenne en compagnie de roches du fond marin. Sous l’effet de la pression, la croûte ainsi épaissie de ce bord de la plaque européenne a été à la fois comprimée et poussée vers le haut : le plissement alpin avait commencé.

Ce phénomène a laissé des traces visibles dans la région de Zermatt où l’on trouve réunis, dans un espace restreint, des types de roches de provenance africaine et européenne ainsi que des sédiments marins. Les laves en coussins que l’on y rencontre témoignent de l’ancienne activité volcanique sur le fond marin

C »est l’érosion, surtout glaciaire, qui fait disparaître de grandes parties de ces nappes et en révèle d’autres, plus profondes, en formant des « pics pyramidaux » comme la plus belle montagne du monde. Yololaitou ! (= cocorico en Suisse.)

Coupe géologique schématique Breithorn – Mond de l’Etoile d’A. Escher, 1984 (3)

Note* : bon, ok, le Mont Blanc est pas mal photographié aussi, mais plus qu’une montagne c’est tout un massif, et c’est beaucoup plus facile d’y monter qu’au Cervin. Et en plus je le vois depuis chez moi, alors…

Références

  1. Paul Caminada « Waghalsige Projekte durch Fels und Firn im ausgehenden 19. Jahrhundert – Herausforderungen unter Extrembedingungen » , Bautechnik, August 2010, Volume 87, Issue 8, pages 494–511,  DOI: 10.1002/bate.201090087
  2. Olivier Grivat « Le projet de train-fantôme hante toujours le Cervin » sur swissinfo.ch 16. février 2011
  3. Emile Argand « L’exploration géologique des Alpes pennines centrales » (1909) Imprimeries Réunies ISBN:•WorldCatGoogle Books
  4. Arthur ESCHER et Henri MASSON « Le Cervin : un dessin géologique inédit d’Emile Argand (1929) et son interprétation actuelle » TRAVAUX DU COMITÉ FRANÇAIS D’HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE – Deuxième série – T.2 (1984)
  5. Michel Marthaler "Le Cervin est-il africain ?: Une histoire géologique entre les Alpes et notre planète" (2005) LEP ISBN:9782606011543 WorldCat Google Books   disponible auprès de l’éditeur
  6. « Sur les origines du Cervin« , 2004, DETEC

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