La vague idée de l'ordinateur quantique est née dans les années 1970 à l’image d’une boutade de Richard Feynman:
« Nature is not classic, dammit, and if you want to make a simulation of nature you’d better make it quantum mechanical and by golly it is a wonderful problem. »
Ca paraissait être de la science-fiction pendant quelques décennies et voilà c’est fait : après quelques premiers pas hésitants et un partenariat avec Google, l’entreprise canadienne D-Wave Systems lance sur le marché le premier ordinateur quantique !
Le D-Wave One est doté d’un processeur à 128 qubits « flux » baptisé « Rainier », spécialisé dans la résolution de problèmes d’ optimisation combinatoire discrète, une classe de problèmes « NP » (Non Polynomial), dont la résolution est très lente voire impossible sur un ordinateur classique.
« Rainier » n’a pas grand chose à voir avec la puce de nos PC : il utilise des jonctions Josephson supraconductrices pour générer les qubits et exploite le théorème adiabatique pour accéder à leur état. Les qubits effectuent ensuite l’optimisation par une méthode de « recuit simulé quantique ». Toutes ces notions sont bien éloignées du pain quotidien des informaticiens d’aujourd’hui…. D’ailleurs un ordinateur quantique ne se « programme » pas réellement, il doit plutôt être configuré pour résoudre un problème donné, un peu à la manière des bons vieux calculateurs analogiques.
Avec un prix catalogue de 10 millions de dollars, le D-Wave One s’adresse aux entreprises ayant un problème très particulier à résoudre. Tellement particulier qu’un ordinateur à 10 millions de dollars n’y parvient pas. J’aurais tendance à dire que le marché me semble limité, mais je m’en voudrais de répéter une erreur célèbre:
« Je pense qu’il y a un marché mondial pour quelque chose comme 5 ordinateurs. »
(Thomas Watson, président d’IBM, 1943)
(Edit du 28.9.2012 suite au commentaire de Manu : cette phrase n’est probablement pas de Watson, ni de 1943)
Références:
- M. W. Johnson et al « Quantum annealing with manufactured spins« , 2011, Nature R. 473, pp 194–198
- Newns & Tsuei, « Quantum computing with d-wave superconductors« , 2002, United States Patent 6495854
- « Learning to program the D-Wave One » sur « Hack the Multiverse« , le blog de D-Wave
- « Catching quantum mechanics in the act… » sur « Hack the Multiverse« , le blog de D-Wave
- Hartmut Neven, « Machine Learning with Quantum Algorithms« , 2009, Google Research Blog
- page « D-Wave Systems » sur Wikipedia
- « Discrete Optimization Methods » sur The Stony Brook Algorithm Repository
12 commentaires sur “Et un ordinateur quantique, un !”
Intéressant point de la situation : « Ordinateur quantique : l’avis de Laurent Saminadayar sur D-Wave Two » sur Futura-Sciences
Il est quand même probable que Watson n’a jamais prononcé cette phrase :
https://en.wikipedia.org/wiki/Thomas_J._Watson#Famous_misquote
En tout cas, s’il a parlé de ‘computers’ en 1943, c’est un vrai visionnaire !
L’ENIAC n’est pas encore inventé, Konrad Zuse n’est pas vraiment connu, les Colossus non plus…
Merci pour cette mise au point. Moi qui aime vérifier les citations, je suis pris en flagrant délit de négligence … J’ai corrigé comme j’ai pu dans l’article.
Des tutoriels pour programmer la bête ainsi qu’un « devkit » en Python sont disponibles ici : http://www.dwavesys.com/en/dev-tutorials.html
J’ai un peu l’impression de lire un article de science-fiction, c’est pas sensé être les débuts d’une informatique complètement nouvelle et surpuissante?
Sinon histoire de faire plus ou moins conspirationniste, si ça débarque comme ça dans le civil, ça devait être dans le militaire depuis un moment, nan? Les américains, Echelon, tout ça… 😀
Apparemment Lockheed-Martin vient d’acheter le pemier.
NP ne signifie pas Non Polynomial mais, décidable par une machine de Turing non-déterministe en temps polynomial, en particulier, dans NP il y a tous les problèmes dans P, et en dehors de NP, il y a une hiérarchie exponentielle, largement inattaquable, même pas un hypothétique ordinateur qui possède beaucoup de Qubits.
L’accélération qu’apporte le quantique est intéressante, mais elle ne permet pas de toucher NP (en tous cas pas pour le moment). Selon les domaines, l’accélération peut être d’ordre exponentielle, mais il ne semble pas que ce soit le cas général.
Pour l’exemple de la factorisation et de l’algo de Shor, étant donné qu’on ne connait pas la complexité classique du problème c’est compliqué de comparer…. Je ne suis pas un spécialiste, mais je me méfie un peu de cette entreprise.
Et une réponse collective, une !
@Zeus : j’ai découvert la controverse de 2007 sur les premières présentations de D-Wave en écrivant l’article. « A Giant Leap Forward in Computing? Maybe Not » du NYTimes de l’époque donne beaucoup de références critiques, en particulier celles du blog de Scot Aaronson qui avait ouvert les feux, et qui vient de publier un post sur le « D-Wave One » que je trouve assez prudent, dans le genre « à l’époque j’avais raison, maintenant voyons si D-Wave a réellement fait des progrès » . Il mentionne aussi un document « supplementary information » à l’article de Nature qui permettra peut-être aux spécialistes de se faire une idée plus précise.
(@ Benjamin : il y a des infos thermométriques dans ce document, mais j’ai rien vu sur la consommation du bidule. C’est vrai qu’à force d’envoyer l’helium dans l’espace ou de l’enterrer au LHC, il en reste peu pour les informaticiens du futur… )
Pour ma part, je pense que l’étape du « Combien » est toujours la plus critique dans un processus d’innovation. Si la machine de D-Wave est capable de choses utiles impossibles à résoudre avec une machine existante coûtant 10M$, elle se vendra même si elle ne correspond pas à 100% à l’idée que les théoriciens du « Pourquoi » se font d’un ordinateur quantique. Et les $ serviront aux ingénieurs à perfectionner le « Comment ». Sinon, D-Wave mourra.
@Hartok et Tchernobog : La factorisation des grands nombres est souvent présentée comme le problème typique qu’un ordinateur quantique pourrait résoudre, ce qui déclencherait effectivement une sacrée panique en cryprographie. C’est certainement un challenge technico-scientifique, mais est-ce un marché ? Je veux dire : une fois que quelques organisations étatiques se seront équipées de machines cassant des codes RSA, on utilisera d’autres systèmes (quantiques?) de cryptage et le marché du crackage de clé s’effondrera…
De ce point de vue je trouve la cible marketing de D-Wave bien choisie (à moins que leur machine ne soit pas assez quantique pour casser des clefs…) : des problèmes d’optimisation combinatoire il y en a partout. Mais on a aussi des méthodes fournissant rapidement des solutions dont on est sur à 99% qu’elles sont optimales, ou inférieures de moins de 1% à l’optimum (voir par exemple l’« Optimisation de la Joconde » pour le problème du voyageur de commerce ) La question « combien » devient : quelles sont les applications ou l’on a souvent besoin de faire des optimisations (on va pas acheter un D-Wave One pour optimiser un réseau électrique qui ne va plus bouger pendant 10 ans…) et où le 1% d’écart entre le quasi optimum classique et l’optimum absolu quantique vaut des millions de $ ?
Si j’avais la réponse, je postulerais comme responsable marketing de D-Wave…
j’ai fait quelques petite recherche et j’aimerai vous demander votre avis sur la controverse que suscite cet ordi quantique: en effet y parait qu’il n’est pas vraiment reconnu par la communauté des spécalistes en ordi quantique (wikipédia). Qu’en est t’il du partenariat de D-wave avec google? quand au prix, ben je pense pareil que thernobog, c’est beaucoup à notre échelle, pas grand choses pour ceux qui manipule des sommes beaucoup plus grande.
Je savais bien qu’un jour je verrai ce titre dans la page d’accueil du c@fé mais je ne pensais pas que ça arriverait si vite.
Petite question subsidiaire : pour la jonction Josephson supra il faut être autour des 5 kelvins (-267 deg celsius) je suppose (c est un supra classique) donc ce PC consomme de l’hélium liquide a 4,5 K. Ce n’est pas négligeable pour le coup de fonctionnement de cette petite bête alors, parce qu’on achète pas de l’hélium liquide au supermarché et c’est plutôt cher et de plus en plus limité au niveau des ressources. La question est donc : ça consomme combien d’hélium liquide par heure cette machine ?
Bonne chute !
Pour revenir sur le prix, je ne pense pas que ce soit si énorme, surtout si on le compare à l’étendue des applications réalisables. Un tel ordinateur est très efficace pour s’attaquer aux méthodes de chiffrement couramment utilisées, par les banques notamment.
D’ailleurs, voici une petite citation à ce sujet, citation d’ Éric Filiol, expert en sécurité :
Hey Mister Goulu, raconte nous maintenant quelles industries/recherches/sciences va pouvoir impacter cette technologie…
10 million c’est que dalle.
S’il te plait…