En 1930, Subrahmanyan Chandrasekhar dit « Chandra » montra qu’une « naine blanche » 1.44 fois plus massive que le Soleil s’effondre en formant un corps extrêmement dense. En 1932 James Chadwick découvrit le neutron et Lev Landau pensa immédiatement que lors de l’effondrement, les protons et électrons formant la matière de l’étoile pourraient se retrouver si comprimés que leurs charges s’annuleraient, donnant naissance à une étoile à neutrons. Les étoiles à neutrons sont des objets défiant l’imagination. Lourds comme une étoile mais petits comme un astéroïde, la gravité y est environ 100 milliards de fois plus élevée que sur Terre : un objet lâché à un mètre au dessus de la surface s’y fracasse 1 millionième de seconde plus tard à la vitesse de 7 millions de km/h. Il n’y a pas de montagnes sur les étoiles à neutrons. Ce sont les objets les plus lisses qu’on puisse imaginer, l’empilement le plus compact possible des plus petites particules « solides » existantes. En 1934, Baade et Fritz Zwicky (un suisse) montrent que l’effondrement provoque une supernova bien plus violente que les novae connues alors.
Quelques années extrêmement prolifiques, et puis presque plus rien pendant des decennies. En astrophysique comme dans les autres sciences, les progrès ne sont pas constants ni même continus, et le hasard joue un rôle important. En 1967, Jocelyn Bell, alors étudiante en thèse sur un sujet bien différent, détecte un signal radio provenant de l’espace avec une régularité de métronome, toutes les 1,337301192269 secondes. Anthony Hewish, son prof, croit d’abord à un problème d’instrument, puis suspecte un signal des petits hommes verts, avant de publier la découverte [1]. Comme il ne parvient pas à identifier la source du rayonnement, il émet timidement l’éventualité d’un lien avec une « pulsation d’étoile à neutrons ». Curieusement, il semblerait qu’on n’ait pensé qu’alors qu’une énorme étoile tournant très lentement se met à pirouetter au moins aussi vite qu’une patineuse aux Jeux Olympiques lorsqu’elle devient une étoile à neutrons de 10 ou 20 km de diamètre seulement, et que son champ magnétique provoquerait une émission de rayonnement dirigée, un peu comme un phare. Ca méritait un nouveau nom : pulsar. Il ne restait plus qu’à vérifier que la supernova de l’an 1054 avait bien donné naissance au pulsar du Crabe pour valider la théorie énoncée 40 ans plus tôt. La découverte fortuite de Jocelyn Bell vaudra à Hewish (et pas à elle …) le prix Nobel en 1974.
Après quelques décennies d’observation notamment grâce au télescope spatial à rayons X Chandra, nous connaissons aujourd’hui plus de 2000 pulsars dans la Voie Lactée. Il y en a qui tournent vite, d’autres lentement. Il y en a qui émettent des rayons X, d’autres des ondes radio. Il y en a qui ont une « atmosphère » d’une dizaine de centimètres de fer, pour d’autres c’est du carbone pur, du diamant quoi…[2] Il y en a qui ralentissent, d’autres presque pas. Depuis 1992, on pense que certains pulsars génèrent un champ magnétique si puissant qu’ils méritent un nom à eux tout seuls : magnétar, ce qui veut dire « effaceur de cartes de crédit galactique » en langue klingon. Le champ magnétique apparait d’ailleurs comme un élément essentiel des pulsars, qui freine leur rotation en fournissant l’énergie du rayonnement selon un processus assez complexe pour que je n’aie pas encore tout bien compris.
Dans un article récent [3], Victoria M. Kaspi fait le ménage dans ce zoo avec un diagramme :
Sur ce diagramme dit P-P’ montrant la période des pulsars en abscisse et leur ralentissement en ordonnée, on voit 1674 pulsars radio (points noirs) dont ceux formant un système double avec une étoile normale sont cerclés , 9 AXP et 5 SGR qui sont des variétés de magnétars et qui sont bien ceux qui ralentissent le plus, ainsi que quelques autres pulsars atypiques.
Les lignes en traitillés indiquent l’intensité du champ magnétique en surface en Gauss, les lignes en traits mixtes indiquent la « demi-vie de rotation », le temps après lequel la rotation sera deux fois plus lente. En haut à gauche, il n’y a pas de points car il n’y a pas eu beaucoup de supernova dans notre galaxie ces derniers siècles. En bas à droite, il y a probablement beaucoup d’étoiles à neutrons anciennes, qui ont trop ralenti ou dont le champ magnétique est trop faible pour alimenter une émission de signaux radio. Combien y’en a-t-il ? Mystère. Pourrons-nous les détecter un jour ? Surement !
Référence
- A. Hewish, S. J. Bell, J. D. H. Pilkington, P. F. Scott& R. A. Collins, « Observation of a Rapidly Pulsating Radio Source« , 1968, Nature 217, p 709 – 713
- Wynn C. G. Ho, Craig O. Heinke, « A neutron star with a carbon atmosphere in the Cassiopeia A supernova remnant« , 2009, Nature, Vol. 462, p. 71–73
- Victoria M. Kaspi, « Grand Unification of Neutron Stars« , 2010, Submitted to Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America
2 commentaires sur “La grande unification des étoiles à neutrons”
Si je peux me permettre, en ce qui concerne la première phrase de votre article, les naines blanches sont le résidu final des étoiles dont la masse initiale est inférieure à 8 fois la masse du soleil ; ce n’est pas le résultat d’un effondrement comme pour les étoiles plus massives qui vont donner une étoile à neutrons, mais plutôt d’une évolution du coeur de l’étoile. Une naine étant un astre de la taille de la Terre, avec grosso modo la masse du soleil. Faites le calcul, sa densité est environ d’une tonne pour un dés à coudre…
Chandrasekhar a montré que ces naines blanches, dont la pression de dégénérescence des électrons contrebalance la gravité, avaient une masse maximale de 1.4 fois la masse du soleil. Ce qui ne veut pas dire que toutes les naines blanches ont une telle masse : la valeur moyenne est de 0.6 masses solaires.
Par ailleurs les supernovae gravitationnelles sont effectivement le résultat de l’effondrement d’une étoile massive (plus de 8 masses solaires). Mais rien à voir avec les novae, qui sont des éruptions à la surface de certaines naines blanches qui accrètent de la matière d’une étoile compagnon…
Quant aux étoiles à neutron, ce sont tout simplement des noyaux atomiques géants ! Ce ne sont pas vraiment les charges des électrons et neutrons qui s’annulent lors de la formation des étoiles à neutron, mais plutôt les protons des noyaux atomiques qui absorbent les électrons sous l’effet de la pression et se transforment ainsi en neutron…
Merci pour les précisions. Effectivement, mon article est un peu flou sur l’évolution stellaire, que j’ai abordée dans d’autres articles comme « Galaxie spirale et Séquence principale » et « La densité des trous noirs« . J’ai voulu consacrer celui-ci aux étoiles à neutrons, au prix de quelques raccourcis…
Sur la formation des neutrons, j’ai bien la même explication que la votre (j’ai cru avoir commis une bulle, les neutrons n’ayant justement pas de charge…):
Le conditionnel est du au contexte historique : cette hypothèse est due à Landau en 1932, et s’est révélée exacte (on sait aujourd’hui que cette réaction s’accompagne d’une production titanesque de neutrinos, qui ont été détectés lors de SN 1987A)
A part pour illustrer la densité phénoménale des étoiles à neutrons, je ne partage pas la vision de « noyaux atomiques géants » pour de multiples raisons:
– il n’y a pas de protons
– c’est la gravité et non l’interaction faible qui agglomère les neutrons
– la choses interagit avec de la « matière normale », comme les atmosphères de fer ou de carbone, pour générer les champs magnétiques
Il y a cependant effectivement des points communs qui sont étudiés.
Merci pour votre commentaire, et pour le lien vers votre blog auquel je m’abonne immédiatement.