En Suisse, les barrages alpins construits au milieu du siècle passé produisent 60% de l’électricité. En France, ce n’est « que » 14%, mais c’était plus de 50% dans les années 1950. L’opinion générale est que le potentiel hydroélectrique a été utilisé, donc qu’il faut désormais tabler sur les « nouvelles énergies renouvelables » que sont le solaire et l’éolien, ce qui sous-entend que l’hydraulique en est une vieille, dépassée. Est-ce juste ?
Selon un rapport récent du MINEFI [2], la France n’exploite que 70 TWh de son potentiel de 98TWh et pourrait produire 23TWh de plus simplement en développant ses installations existantes, en encore 5TWh avec de mini turbines qui produisent de l’électricité plus chère (mais on subventionne bien les moulins à vent, pourquoi pas ceux à eau ? ) Pour quelques milliards, EDF pourrait donc accroitre de 5% la part d’hydroélectricité, qui offre donc un potentiel supérieur à l’éolien (2% environ) à un cout moindre.
Une énergie modulable
De plus, l’hydroélectricité a deux avantage décisifs sur toutes les sources d’énergie électrique disponibles actuellement :
- on peut mettre en service en 3 minutes chrono une turbine électrique au moment où la consommation d’énergie augmente (elle varie typiquement de 30% en fonction des heures de la journée). Il faut 11h pour une centrale thermique et 40h pour une tranche nucléaire[1]. La production solaire suit par chance grosso-modo la variation de la demande, quand il y a du soleil (ce qui fait qu’il est aberrant de vouloir produire de l’hydrogène par électrolyse avec du courant solaire). Et les éoliennes, elles marchent quand ça souffle…
- c’est actuellement le seul moyen de stocker de grosses quantités d’énergie. Quand les centrales nucléaires et thermiques produisent trop d’électricité, ce qui arrive toutes les nuits, la seule chose que l’on puisse faire aujourd’hui est de pomper de l’eau dans les barrages pour la turbiner le lendemain. Le rendement énergétique d’un cycle est très bon, proche de 80% pour des installations récentes, et le rendement économique est fantastique : le kWh acheté 4 centimes la nuit peut parfois être revendu plus d’un franc 12 heures plus tard ! Un placement à 2500% par jour, en liquide, ça vous dirait ?
L’hydroélectricité n’est dont pas une alternative parmi d’autres : c’est un élément indispensable pour un approvisionnement en électricité optimisé, et son potentiel n’est pas épuisé, loin s’en faut.
Une énergie concentrée + un rendement élevé
L’eau de pluie est collectée naturellement dans les bassins versants et concentrée dans des cours d’eau que l’on peut exploiter de deux façons :
- en altitude, on la capte à l’aide de barrages dans des conduites forcées et on l’injecter sous haute pression après une chute de l’ordre de 1000m sur une roue Pelton, une antique turbine conçue en 1879 (oui, plus d’un siècle)
- sur les fleuves, de petits barrages font tomber des masses d’eau de quelques mètres sur des turbines Francis, inventées aussi au XIXème siècle.
Voici les caractéristiques de ces antiquités comparées à une éolienne et à des cellule photovoltaïques du 21ème siècle, pour ne pas dire du futur (il m’arrive de douter légèrement du progrès, pas vous ? ) :
Pelton | Francis | Eolienne | Photovoltaïque | |
---|---|---|---|---|
diamètre | 1-3m | 1-10m | 80m | 144m (16’000 m2) |
rendement | 90% | 80 – 95% | max 59% (limite de Betz) | 10-40% |
puissance | 60-400 MW | 1 – 100 MW | 2 MW | 2 MW |
Ces chiffres montrent qu’un tout petit potentiel hydroélectrique est équivalent à un énorme potentiel éolien ou solaire grâce à l’effet d’entonnoir naturel décrit plus haut, et à la densité de l’eau.
Conclusion:
L’hydroélectricité produit 90% de l’énergie renouvelable de la planète et reste une technologie très compétitive et efficace. Construire des barrages est un travail de titan, avec des retombées humaines et écologiques non négligeables comme on l’a vu d’Assouan aux Trois Gorges, mais il n’existe pas d’autre moyen de produire de l’électricité de façon aussi propre, flexible et efficace.
Le potentiel de cette source d’énergie est très important dans de nombreux pays en développement, notamment en Afrique, où il peut fournir de l’électricité à un prix très bas comparé au solaire qu’on voudrait leur fourguer sous prétexte que là bas il y a du soleil.
Dans les pays industrialisés, les sites facilement exploitables ont été exploités pendant près de 50 ans. Maintenant, avec les techniques modernes, les barrages peuvent être agrandis, l’eau captée dans des bassins secondaires, et le stockage par turbinage-pompage permet maintenant de rentabiliser des investissements qui ne se justifiaient pas il y a quelques années.
Avant de subventionner les énergies diluées que sont l’éolien et le solaire, nous devons exploiter au mieux toute l’eau disponible, la seule source d’énergie à la fois propre, flexible et bon marché.
Sources:
- « L’hydroélectricité bénéficie d’un nouveau cadre réglementaire grâce auquel elle pourra à nouveau se développer« , Actu-Environnement.com – 17/01/2007
- RAPPORT SUR LES PERSPECTIVES DE DEVELOPPEMENT DE LA PRODUCTION HYDROELECTRIQUE EN FRANCE. Mars 2006
- Installations-electriques.net un site très complet sur l’électricité, et la production et consommation en Suisse en particulier.
8 commentaires sur “Potentiel hydroélectrique”
Bonjour
Petite idee prenant en compte le stockage de l energie qui est THE probleme.
Est il imaginable a partir de ‘chateau d’eau’ cad une masse stockee d ‘eau,de rajouter au pied de cet edifice un bassin de recuperation de cette eau provenant du bassin Haut et qui en chutant entrainerait une production d ‘electricité par le biais d une turbine stator rotor. Couplé a Quelques eoliennes domestiques. Le courant fourni par les eoliennes servirait a alimenter les besoins instantanés et dans le cas de non consommation ,que le trop plein serait utilisé pour remonter(pompage) l’eau du bassin bas vers le bassin haut .Dans le cas d insuffisance de production des eoliennes une vanne automatique delivrerait l eau du bassin haut et alimenterait ainsi la turbine qui ajouterait son energie aux besoins domestique précités.Question : quelle hauteur,quelle masse et quel debit ? en tous cas cela serait un moyen simple et domestique de stocker de l energie.Merci de vos reponses
@Jean Yves Grassi :
C’est assez facile à calculer, parce que par définition, 1 Watt est la puissance d’une force de 1 Newton se déplaçant à 1 m/s. Autrement dit, 9.81Watts permettent de soulever 1kg d’1m en 1 seconde.
Une éolienne domestique de 1KW permet donc de pomper environ 100kg d’eau de 1m chaque seconde, ou 10l de 10m toujours en 1 seconde. Si l’éolienne tourne plein pot pendant une nuit bien ventée, disons pendant 10h, elle peut pomper 36’000 litres d’eau dans un château d’eau de 10m. Ca fait une belle cuve, un cube de 3m30 de côté qui pèse 36 tonnes ….
Avec un château d’eau de 10, on arrive donc à stocker 1
0KWh dans 36 tonnes, ce qui donne un stockage d’énergie de 0.28 Wh par kg d’eau. C’est100x1000x moins qu’avec 1kg de bêtes batteries au plomb, ce qui explique pourquoi les petites installations sont plutôt complétées par quelques centaines de kilos de batteries à la cave.(note du 24.8.15 : mes calculs étaient trop optimistes d’un facteur 9.81 comme me l’a signalé « smart solar » ci-dessous…)
Évidemment, pour une éolienne qui produit 1MW ou une centrale nucléaire d’ 1GW, la solution hydraulique devient plus réaliste, surtout si on dispose d’une montagne avec une chute de 1000m. Là, les millions de mètres cubes d’eau du lac de montagne contiennent la même énergie potentielle que le même poids de batteries bien chargées…
Bonjour Dr, bravo pour votre site/blog !
je me pose aussi la question du rôle que pourrait jouer les chateaux d’eau dans les nouveaus reseaux electriques… j ai échangé avec un ancien collègue suisse de la mini hydraulique et le calcul que tu mentionnes, soit 10 kWh pour un volume de 36 m3 (env. 36 tonnes) sous une dénivellation de 10 m, n’est pas correct. Le calcul de l’énergie potentielle (ou de la gravité) s’exprime simplement. Si on appelle E l’énergie électrique produite (joule), M la masse d’eau retenue (kg), DZ la dénivellation moyenne (m), g l’accélération de la pesanteur admis à 9,81 m/s2 et r le rendement global de la transformation de l’énergie hydraulique en électricité, admis à 0,7, l’expression s’écrit :
E = M × g × DZ × r = 36’000×9,81×10×0.7 = 2’472’000 j ou en kWh : 2’472’000/3’600’000 = 0,69 kWh (et non 10)
si on pouvait remettre l’eau là où elle est prise dans la nappe ? à plusieurs centaines de mètres sous la terre c’est plus interessant ? on prend dans la nappe et on remet dans la nappe en mode turbinage pompage
par contre ça nécessite une turbine linéaire spéciale qui tiendrait dans un tuyau… pour pouvoir être descendue au fond…, Est-ce que cela existe à ta connaissance, est-ce que cela vous parait si farfelu, inimaginable ?
oui je me suis effectivement planté d’un facteur 10 , ou plutôt 9.81 je pense (honte…), et j’ai considéré un rendement de 100% car je suis un optimiste, et aussi pour parer l’argument courant « oui mais un jour on pourra faire mieux ».
A ce propos tout de même, les rendements hydraulique sont plus proches de 90% que de 70, et le rendement d’un cycle complet de turbinage+pompage se situe autour de 80% ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Rendement_d%E2%80%99un_am%C3%A9nagement_hydro%C3%A9lectrique )
Pour le turbinage pompage dans la nappe, je subodore deux problèmes :
1) effectivement il faudrait descendre la pompe/turbine au fond …
2) mais surtout, il faut que l’eau puisse s’écouler librement au fond en mode turbinage.
Les turbines hydrauliques (Peloton) ne sont pas soumises à la loi de Betz comme les éoliennes car elles peuvent absorber 100% de l’énergie cinétique de l’eau, donc l’arrêter totalement et elle tombe (dans l’air) dans un canal d’évacuation.
Je ne sais pas comment les turbines Francis réversibles parviennent à de si haut rendements car elles sont effectivement immergées en turbinage aussi… J’imagine qu’il faut des admissions/évacuations latérales bien pensées, pas facile à faire au fond d’un puits…
je viens de trouver ce document qui m’a l’air très intéressant
http://voith.com/en/11_06_Broschuere-Pumped-storage_einzeln.pdf
Oui, la comparaison des diamètres des hélices peut surprendre, mais je pense qu’elle se justifie par le fait que la surface du bassin versant qui sert d’entonnoir n’a pas besoin d’être construite : c’est la topographie naturelle qui concentre l’énergie hydraulique sur une toute petite roue (bon, ok pour tenir compte du barrage, voire du lac).
Cet effet de concentration n’existe pas pour l’éolien ni pour le solaire (à moins de faire des biocarburants, où les plantes accumulent l’énergie solaire), et c’est à mon avis la raison fondamentale pour laquelle l’éolien et le solaire resteront définitivement plus couteux que les énergies « concentrées ».
J’avais commencé un gros paragraphe sur ce sujet, avec calcul de la production d’énergie par mètre carré, mais ça devenait long et compliqué alors j’en ferai un article complet un de ces jours…
Je ne suis pas sûr que l’on puisse comparer le diamètre de la roue pelton à celle du capteur solaire. Dans ce cas on devrait comparer la grandeur du lac (artificiel ou non) et des montagnes environnantes pour le remplir. Car au final, le but est bien de capter de l’énergie solaire sous une forme ou une autre.
En revanche 100% d’accord que l’hydro-électrique a un bel avenir devant lui, tant que l’on ne trouve pas moyen de faire des condensateurs / batterie de cette capacité. Assurément qu’une fois une bonne production d’énergie renouvelables, les barrages seront encore plus utilisés pour de l’énergie de crête qu’actuellement.
trouvé ce document sur le potentiel hydroélectrique restant en Suisse, ou plus exactement seulement dans le Canton du Valais : 23 GWh/an seulement, ça parait bien peu …