En préparant comme à l’accoutumée un article sur le nombre 2011 et avant qu’ ElJi ne me devance, je suis tombé sur l’étrange propriété A071160 selon laquelle 2011 est un « mot de Lukasiewicz qui est aussi une séquence siteswap de jonglerie asynchrone valide »…
Comme je n’y ai rien compris, j’ai cherché, en commençant par la jonglerie via un vieil article de Pour la Science [1+2] . On y apprend que le grand Claude Shannon en personne s’est intéressé au sujet de la notation des figures de jonglerie [3], un domaine étonnamment actif qui a abouti dans les années 1980 au « siteswap » ou « notation d’échange de position ». La jonglerie « asynchrone » est le type le plus courant, dans laquelle la main gauche et la main droite jettent chacune une balle alternativement. Une séquence est définie en notation « siteswap » par un nombre dont chaque digit correspond à un temps et indique après combien de temps la balle lancée sera relancée. Donc si ce chiffre est impair la balle sera relancée par l’autre main, s’il est pair par la même main.
- « 1 » définit ainsi la séquence triviale dans laquelle une seule balle passe alternativement de la main gauche à la main droite.
- « 333 » est la séquence à 3 balles que vous avez essayé au moins une fois dans votre vie. Mais comme tous les temps sont identiques, on peut noter la séquence simplement « 3 ». Si vous laissez tomber une balle, la séquence devient « 330 », le 0 indiquant un temps mort
- « 44 » consiste à jongler avec 2 balles avec la main droite, et deux autres avec la main gauche
- « 53145305520″ est la séquence décrite sur la Wikipedia [4]. La voici simulée par ce génial simulateur de jongleur en ligne :
Avez vous remarqué que la moyenne arithmétique des chiffres d’une séquence est un nombre entier égal au nombre de balles à utiliser ? Ceci explique pourquoi beaucoup d’entiers ne définissent pas une séquence valide.
- « 2011 » est justement valide, mais comme la moyenne des chiffres est 1 et qu’il y a un 0, ce n’est pas une figure très acrobatique…
Le siteswap permet de décrire des jongleries existantes, mais surtout d’en découvrir de nouvelles comme vous pourrez vous en convaincre en utilisant le générateur du génial simulateur de jongleur en ligne. Avec l’extension de la notation à plusieurs jongleurs, cet outil a permis d’innover de façon spectaculaire dans un art millénaire et bien loin des maths en apparence.
Les « mots de Lukasiewicz » c’est compliqué au point de dépasser l’objectif de ce blog. (Autrement dit, j’ai pas tout compris, mais vous pouvez essayer en consultant [7] p. 77). En deux mots, ils permettent de décrire des arbres planaires, des structures très utilisées en analyse syntaxique ou lexicale, dans les compilateurs par exemple.
Et comme je ne parvenais pas à trouver le moindre lien entre les « mots de Lukasiewicz » et la jonglerie, j’ai posé la question à Antti Karttunen, qui a soumis la séquence A071160. Voici sa réponse :
There’s no other relation except that they have a non-empty intersection, which A071160 gives. Quite simple. I just happened to play with both…
Bon, eh bien dans ces conditions cet article est terminé…
Reférences et liens
- Peter J. Beek and Arthur Lewbel « The Science of Juggling« , Scientific American, November, 1995, Volume 273, Number 5, pages 92-97.
- Peter J. Beek etArthur Lewbel « La science de la jonglerie », Pour la Science, Janvier 1996, No 219, pages 80-86.
- Arthur Lewbel « The Invention of Juggling Notations« , Jugglers World, Winter 1993-94, pp. 34-35
- Siteswap sur Wikipedia.fr
- Colin Wright and Andrew Lipson « SiteSwaps – How To Write Down A Juggling Pattern: A Guide For The Perplexed« , Solipsys Ltd, 1996
- l’Internet Juggling Database, une mine de videos et autres infos sur la jonglerie
- Flajolet and Sedgewick « Analytic Combinatorics« , Cambridge University Press, 2009
3 commentaires sur “2011, siteswap et jonglerie”
Bonjour,
J’ai recherché un peu d’information sur les mots de Lukasiewicz. Et les deux définitions que j’ai pu trouvé disent qu’un mot de Lukasiewicz est un mot sur l’alphabet {-1,1}. Or 2011 n’est pas un mot sur cet alphabet. Du coup, je voulais savoir sur quelles références tu t’es appuyé pour écrire cet article.
Merci d’avance.
2011 figure dans http://oeis.org/A071153 comme « Lukasiewicz word for each rooted plane tree (interpretation e in Stanley’s exercise 19) encoded by A014486 (or A063171), with the last leaf implicit, i.e. these words are given without the last trailing zero, except for the null tree which is encoded as 0. »
Ensuite j’ai downloadé le livre de la référence [7] (c’est permis!) et tenté de décrypter la page 74 (77) … ça dit :
The resulting paths are known as Łukasiewicz paths (…) the vertical displacements are in the set {−1, 0, 1, 2, . . .}
Et comme je ne voyais toujours pas le lien avec la jonglerie (qui n’existe pas d’ailleurs), j’en suis resté là…
Très sympathique de tomber sur un article parlant de siteswap sur un blog scientifique. Je suis jongleur et j’utilise ce système dans tous les jours, je suis toujours content quand on le découvre en dehors du cercle « jonglistique ».