Depuis 1848, les citoyens suisses jouissent du droit d’initiative populaire : il suffit que 100’000 citoyens (environ 2% du corps électoral) soutiennent une proposition de modification de la Constitution pour que l’adoption du texte soit soumise au vote de l’ensemble de la population*. C’est ainsi que l’Article 72, al. 3 de notre Constitution contient désormais 6 mots qui auraient à la rigueur pu figurer dans un règlement de construire local : « La construction de minarets est interdite. »
Depuis 150 ans, seules 17 initiatives populaires ont été acceptées sur les 171 qui ont été soumises au vote. Beaucoup, à mon avis 13, concernaient des aspects plutôt émotionnels, liés à la morale, l’éthique ou la religion. Mais au moins 4 ont eu un impact décisif sur le pays :
- 1918 Élection proportionnelle du Conseil National. Ce choix permit aux socialistes une bonne représentativité en pleins conflits sociaux, et leur permettra d’entrer au gouvernement en 1943, en pleine guerre mondiale.
- 1921 Référendum en matière de traités internationaux. C’est grâce à lui (ou à cause) que la population devra donner son aval à un adhésion à l’UE …
- 1949 Retour à la démocratie directe. Le peuple a récupéré de justesse (50.7%) ses droits après l’usage intensif de la clause d’urgence pendant la 2ème guerre mondiale !
- 2002 Adhésion à l’ONU. Les effets ne sont pas encore patents, mais il est tout de même intéressant de noter que la proposition d’adhérer est venue du peuple, et non du gouvernement.
Après quelques votes sur des textes à la limite de la violation de traités internationaux, certains proposent de limiter le droit d »initiative en soumettant les textes a une juridiction examinant leur compatibilité. En réalité, c’est déjà le cas : le Parlement a décidé dans quatre cas de ne pas soumettre une initiative au vote. Pourtant l’initiative de 1977 « contre la vie chère et l’inflation » est proche de celle acceptée en 1982 « tendant à limiter tout abus dans la formation des prix » (bravo ma maman!) et les deux initiatives sur le budget militaire de 1955 et 1995 étaient bien plus modérée que l’initiative de 2001 « pour une Suisse sans armée » qui a été soumise au vote, et dont le score de 35.8% a initié des réformes de l’armée dépassant les propositions des initiatives invalidées. Quant à l’initiative invalidée « pour une politique d’asile raisonnable » de 1996, beaucoup de ses exigences ont été satisfaites suite au net coup de barre à droite en la matière dès 1999…
Limiter le droit d’initiative n’a donc fait que de retarder le traitement politique de préoccupations de la population. Dans ce sens, les initiatives devraient être perçues comme des « signaux avancés » appelant une réaction politique mesurée, avant qu’un texte souvent extrême soit soumis au vote. La surprise de l’interdiction des minarets provient probablement de l’absence de signal avancé. Cette initiative était conçue comme un signal, son succès a surpris même les initiants. Peut-être devrait-elle servir de signal à nos voisins…
Ailleurs.
Outre en Suisse, la forme directe de l’initiative populaire n’existe que dans certains Etats des USA, qui se sont d’ailleurs inspirés de la démocratie directe suisse pendant leur période progressiste, il y a longtemps. Certains Etats limitent les domaines pouvant être sujet à initiative, d’autres imposent un nombre trop élevé de signatures pour que ce droit soit utilisable, mais la démocratie directe est bien vivante aux USA. On pourrait encore citer l’Italie, pays dans lequel 500’000 personnes peuvent demander un référendum sur l’abrogation d’une loi.
Partout ailleurs, le droit d’initiative est « indirect » : il permet aux citoyens de forcer leur pouvoir législatif à légiférer sur un sujet donné, mais pas à le voter directement.
En France, l’Article 11 de la Constitution de la Vème République introduit depuis 2008 la possibilité d’un « référendum législatif » à l’initiative de 10% des citoyens et de 20% du Parlement. Impossible. Ensuite, la proposition de loi est d’abord soumise à l’Assemblée Nationale et au Sénat, et ce n’est que si le législatif ne parvient pas à se prononcer que la loi est soumise au référendum… Re-impossible. Mais impossible n’est pas français, n’est-ce pas ?
Côté européen, le traité de Lisbonne introduit l’ « initiative citoyenne européenne » qui permettra à 1 millions de citoyens de forcer la Commission à soumettre un texte de loi. Beaucoup de détails sont encore à régler, si vous êtes citoyen de l’UE vous avez jusqu’au 31 décembre pour vous exprimer, ou plutôt pour conquérir un droit très puissant, parce qu’on ne va pas vous l’offrir sur un plateau.
Note* Ailleurs, on appelle « référendum » le simple fait de faire voter la population; en Suisse ce terme est réservé aux votations obligatoires en cas de modification de la Constitution ou de signature de traités, ou aux votations sur des abrogations de lois réclamées par 50’000 citoyens.
Références:
- Le référendum d’Initiative Populaire, note de synthèse du Sénat
- le blog de Démocratie Directe, un français idéaliste…
- Initiative populaire sur Wikipedia. Je trouve cet article peu clair car mêlant les notions de démocratie directe et de démocratie participative.
6 commentaires sur “Initiatives populaires”
à propos du récent vote sur les résidences secondaires, j’ai posté cette réaction à l’article (idiot) d’Urs Gfeller (ibid.) sur signature.ch:
L’image d’illustration de 1,3Mo est peut être un peu surdimensionnée 🙂
Sinon bravo pour ce blog que je suis avec plaisir.
Cet article a aussi été publié sur AgogaVox : http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/initiatives-populaires-66647
Merci pour ce fond d’écran crétin sous forme de neige, qui fait ramer ma machine, quand ça ne la fait pas planter.
En fait c’est un truc de WordPress, j’y suis pour rien… Et voilà j’ai trouvé comment le désactiver.
Merci de l’avoir signalé et bonne lecture.
(qu’est-ce que vous avez comme navigateur pour que ça rame ?)
Tiens…?? Il neige sur Dr Goulu…
Je comprends enfin ce qui se passe en Suisse ! Définitivement intéressant ce droit d’initiative populaire.