Dans l’article « Le jour où un franc français valait un franc suisse » de Bernard Reymond paru dans Le Temps du 1er avril 2009 (mais ce n’est pas un poisson…), j’ai appris l’existence passée de l’Union Monétaire Latine (UML). Entre le 23 décembre 1865 et le 1er janvier 1927, la France, la Suisse, l’Italie et la Belgique avaient convenu que leurs unités monétaires correspondraient au même poids d’or fin ou d’argent tout en gardant leur nom. Autrement dit, pendant cette période on avait:
1 CHF = 1 FF = 1 ITL = 1 BEF
Une trentaine d’autres pays avaient adhéré progressivement à l’Union, formant une zone plus vaste que la zone Euro actuelle où il a été possible pendant 60 ans de payer avec n’importe quelle monnaie d’un autre pays membre.
L’instabilité induite par le Première Guerre Mondiale a rompu l’équilibre entre les monnaies et entraîné le démantèlement progressif de l’UML.
Après les inflations diverses, les dévaluations (dont l’introduction du « nouveau franc » français en 1960) et en tenant compte de la conversion en Euro, on aurait aujourd’hui selon les calculs de Bernard Reymond :
1 CHF = 431 FF = 1272 ITL = 26,502 BEF
La monnaie française a baissé d’un facteur 431 par rapport au franc suisse en 1 siècle, soit de 6.25% par an en moyenne !
Autrement dit, les héritiers d’un français qui aurait placé son capital en francs suisses en 1909 le verraient multiplié par 400 par simple effet de change, sans tenir compte ni d’intérêts ni d’une éventuelle fraude fiscale. Il faut dire que le franc suisse est resté d’une stabilité absolument remarquable : en 1967, les pièces de 1Frs, 2Frs et 50 cts étaient toujours composées d’argent en respectant l’étalon de 1865. Inflation nulle en un siècle, qui dit mieux? En 2009, le franc suisse ne vaut que 4.83 fois moins qu’en 1921, alors qu’il faut 360 Euros pour faire 1 Franc Français de 1901.
Selon Bernard Reymond, c’est bien plus cette stabilité que le secret bancaire ou l’ « optimisation fiscale » qui a attiré des fortunes en Suisse. S’il a raison, nos chers amis donneurs de leçons des deux côtés de l’Atlantique feraient bien de considérer le contrôle de l’inflation comme une mesure bien plus importante que la répression de l’évasion fiscale …
14 commentaires sur “Combien vaut 1 franc ?”
La France fonctionne comme ces vieilles familles nobles anciennement riches qui essayent de conserver leur train de vie alors qu’elles n’en n’ont plus les moyens. Elles vivent dans la nostalgie de leur grandeur passée, vendent discrètement par morceau leurs terres pour organiser quelques fêtes futiles et masquer leur déclassement au lieu d’affronter le monde tel qu’il est devenu.
Si la Suisse ne comptait que sur la stabilité de sa monnaie pour attirer des capitaux étrangers, elle n’aurait pas besoin du secret bancaire. Il est parfaitement légal pour un Français de placer de l’argent en Suisse du moment que ce patrimoine et ces revenus sont déclarés.
Effectivement, c’est ce que dit l’article d’ailleurs. Le secret bancaire suisse a été institué:
1) pour protéger les intérêts, voire la liberté ou même la vie de gens honnêtes rançonnés par leurs Etats. Il y a eu les juifs allemands, il y a aujourd’hui des pays en voie de développement ou les entreprises sont rackettées par la corruption d’Etat. S’il a été utilisé de façon malhonnête c’est dommage, mais c’est le prix de la liberté.Faudra pas venir pleurer quand votre relevé de compte en banque sera publié en ligne.
2) pour être concurrentiel avec d’autres places financières comme le Luxembourg, l’Autriche, mais surtout comme les places anglo-saxonnes comme Jersey, les Bermudes ou l’Etat américain du Delaware, qui utilisent le système des trusts. Dans cette guerre commerciale, les banques suisses ont perdu une bataille, mais sont en train de monter elles aussi des structures de trusts, tout aussi opaques mais conformes au droit anglo-saxon. A ce sujet je recommande le livre de Myret Zaki « Le secret bancaire est mort, vive l’évasion fiscale », 2010 ISBN 9782828911485
A armes égales, ce sera de nouveau la stabilité politique qui fera la différence. Et comme les suisses sont le seul peuple du monde à voter sur ses propres impôts, on conservera une petite longueur d’avance.
quelle serait la valeur en euros 2009 de
2 800 Franc suisse 1967
pas facile à répondre, vu que l’Euro n’existait pas en 1967. A l’époque le CHF suivait assez bien le Deutschmark : Selon ce graphique, 1DM valait 1.08 CHF en 1967. A l’introduction de l’Euro en 1999, 1DM valait 0.82 CHF : le franc suisse s’est donc apprécié de 30% en 30 ans par rapport au DM. L’Euro a été introduit à 1€ = 1.956 DM = 1.60 CHF environ et malgré quelques oscillations s’est assez bien maintenu autour de 1.50 CHF depuis.
En gros, je dirais que le franc suisse s’est apprécié par rapport à la monnaie allemande, je veux dire européenne, de 35 à 40% depuis 1967. Au taux de change actuel CHF 2’800 valent 1914 €, mais en tenant compte de ce qui précède je dirais qu’en 1967, c’était l’équivalent d’environ 1472 €.
On peut attribuer aux deux guerres mondiales une multiplication par 50 des prix (5 pour la 1ere et 10 pour la 2nde) en France.
En revanche la parité franc suisse-dollar n’a pas tellement bougé. (par contre celle avec les monnaies allemandes, hongroises ou serbes…)
« il faut 360 Euros pour faire 1 Franc Français de 1901 »
si je me rappelle bien mes classiques (notamment Jules Vallès), la journée d’un ouvrier au XIXème siècle rapportait 5 francs, et une maigre pension se montait à 40 francs mensuels… autrement dit, le franc français de 1901 me paraît bien cher!
Enfin, je ne suis pas spécialiste, mais il me semble qu’une inflation peut aussi avoir des avantages, comme pousser à investir au lieu de laisser de l’argent dans son matelas…
Mais c’est pourtant bien ça. Il y a plusieurs interprétations possibles de tes chiffres :
1) ces misérables exploités du prolétariat ne gagnaient que 5 anciens francs, soit 5 centimes de nouveau franc, soit moins d’un centime d’Euro par jour.
2) les 5FF correspondaient à un quart de napoléon d’or qui vaut 90.34 Euros aujourd’hui (voir commentaires plus haut), donc à 22.5 Euros par jour, soit un salaire mensuel (x20) de 450 Euros, un tiers du smic actuel. Donc le pouvoir d’achat d’or d’un ouvrier n’a « que » triplé en un siècle.
3)sans inflation ni croissance, l’ouvrier actuel gagnerait toujours 5 FF (~0.76 Euro) par jour, donc 15.25 Euro par mois. Un salaire actuel de 1200 Euros/mois indique donc en apparence une croissance d’un facteur 60 environ. Mais il y a eu la dévaluation d’un facteur 100 (et même beaucoup plus…) donc la baisse du pouvoir d’achat a été plus importante que la croissance.
4)si l’ouvrier de 1901 avait placé 1FF sur un compte au taux d’intérêt indexé sur l’inflation en France (6.25% en moyenne), il aurait bien 360 Euros sur ce compte aujourd’hui.
Je ne sais pas laquelle de ces interprétations est la plus correcte. Mais ça montre bien qu’on peut tirer des conclusions très différentes des mêmes données financières…
Oui, l’inflation encourage l’investissement, à condition que l’investissement rapporte plus que ce que l’inflation dévalorise. C’est pourquoi les « chiffres de la croissance » ne veulent pas dire grand chose sans l’inflation.
Imaginons que tu peux placer en France avec 3% d’intérêt et 4% d’inflation, et en Suisse avec 2.5% d’intérêt et 2% d’inflation. Que choisis-tu ?
Hum, il manque dans cette réflexion le passage des guerres qui changes pas mal les choses.
La Suisse ne se serait pas caché derrière son secret bancaire et les mouvements financiers associés, l’Allemagne serait passée par là et l’intérêt de placer en suisse aurait été très différent…
Si on regarde http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89volution_du_pouvoir_d'achat_des_monnaies_fran%C3%A7aises , on voit qu’effectivement l’inflation a été très forte pendant les 2 guerres mondiales, mais qu’elle était stabilisée (et même en récession !) en 1953. Selon le tableau, la contre valeur en Euro (= nouveau Deutschmark) a baissé d’un facteur 11.2 jusqu’en 1999. Ca fait 5.4% par an de moyenne pendant 43 ans, et il n’y a pas eu de guerre …
La part au PIB suisse des banques (14%) est comparable à celle des banques françaises (12%). La Suisse est très compétitive, mais c’est plus grâce à son innovation que grâce à son système bancaire, pour lequel elle est désormais surclassée par d’autres, comme Singapour (http://reports.weforum.org/global-competitiveness-report-2012-2013/)
Sur l’historique du secret bancaire en Suisse je vous recommande de lire http://fr.wikipedia.org/wiki/Secret_bancaire_en_Suisse et en particulier ce passage qui prouve que l’histoire bégaie:
Conseil de voisin ami : pour éliminer les paradis fiscaux, il suffit d’éliminer les enfers fiscaux…
Enfin, ceux qui vivent ce que vous décrivez être un enfer fiscal et ceux qui se servent des paradis fiscaux ne sont pas les mêmes personnes,
ou alors nous ne devons pas avoir la même conception de l’enfer.
Bonne fin de journée.
L’enfer fiscal c’est quand vous n’avez rien à dire sur le montant qu’on vous prélève et que vous n’êtes pas satisfait des services de l’Etat que vous recevez en échange au point d’émigrer.
La Suisse est un vrai paradis fiscal dans le sens que nous votons sur nos impôts, et nous sommes (globalement) satisfaits des prestations de l’Etat par rapport à ce que nous payons, donc des gens viennent ici.
Ce n’est donc pas forcément lié à un taux d’imposition, mais plutôt à un rapport qualité/prix de l’Etat. Par exemple en comparant les « quote part de l’Etat » des pays de l’OCDE (grosso-modo budget de l’Etat/PIB , voir http://www.economiesuisse.ch/fr/PDF%20Download%20Files/2011-02-21_dp02_Quote-part-fiscale.pdf ) on peut se demander pourquoi il y a plus de français que de suédois ou de norvégiens qui s’installent en Suisse…
Mieux : le Napoléon 20 F or à 5,80g d’or de 1804 à toujours cours aujourd’hui. Une bonne mesure de l’inflation et le bonheur des héritiers qui les découvrent dans les matelas.
au cours actuel de l’or, ce Napoléon vaut 90.34 Euros, soit 592.6 Francs Français ou 59’260 anciens francs de l’époque, qui se sont donc dévalués d’un facteur 2963 en 2 siècles…