L'échelle de Richter est tellement démodée que seuls les journalistes l’utilisent encore. Datant de 1935, c’est une mesure de l’amplitude du mouvement provoqué par un tremblement de terre tel que mesuré par un sismographe. Mais elle survit car elle a pu être rebaptisée échelle de magnitude du moment en 1979 en la reliant d’une part au moment sismique, une notion liée à un modèle de rupture des roches, et d’autre part à l’énergie dégagée par le phénomène :
Description : | Magnitude : | Energie [J]: | Fréquence : |
---|---|---|---|
Très mineur | 2 | 6,31.107 | 1000 par jour |
Mineur | 3 | 1,99.109 | 49000 par an |
Léger | 4 | 6,31.1010 | 6200 par an |
Modéré | 5 | 1,99.1012 | 800 par an |
Fort | 6 | 6,31.1013 | 120 par an |
Majeur | 7 | 1,99.1015 | 18 par an |
Important | 8 | 6,31.1016 | 1 par an |
Exceptionnel | 9 | 1,99.1018 | 1 tous les 20 ans |
L’échelle est logarithmique : une augmentation de 1 de la magnitude correspond à une multiplication par 10 de l’amplitude du mouvement, et par environ 30 (√1000 pour être précis) de l’énergie dégagée.
Le séisme de magnitude 9 qui vient de frapper le Japon a dégagé au moins l’équivalent d’une bonne dizaine de Tsar Bomba, soit environ 600 mégatonnes de TNT, ou encore de la consommation annuelle d’électricité de la France, mais peut être beaucoup plus car sa durée a été exceptionnellement longue.
Mieux vaut donc se trouver le plus loin possible de l’épicentre d’un tel phénomène car l’intensité (à ne pas confondre avec la magnitude définie ci-dessus) décroit rapidement avec la distance, et dépend donc de l’endroit où on se trouve. L’intensité se mesure avec l'échelle Medvedev-Sponheuer-Karnik (MSK), qui décrit le niveau des destructions provoqué, et que l’on note en chiffres romains pour la distinguer de l’échelle de magnitude à laquelle elle ressemble trop.
Comme on le voit sur cette carte, le terrible séisme au large du Japon n’a causé « que » une intensité de VII à VIII dans la région de Sendai, peut-être de IX localement sur l’avancée de terre la plus proche de l’épicentre, zone où Murphy avait précisément construit des centrales nucléaires…
Je me permets d’écrire « que VII à VIII » car Kobe avait été détruite par une intensité de IX à XI par un séisme d’une magnitude de « seulement » 7.2 épicentré directement sous la ville, une situation qui s’est répétée à Haïti. Dans la région de Sendai, le tremblement de terre n’a pas causé directement les destructions, les morts et la catastrophe nucléaire en cours. C’est bien le tsunami qui en est très largement responsable.
Les destructions lors d’un séisme sont essentiellement dues à l’accélération du sol a en cm/s², qui est liée à l’intensité Imsk par la relation log a = 0.26 Imsk + 0.19 [1]. Une intensité supérieure à IX provoque des accélérations supérieures à 1 G dans n’importe quelle direction, ce qui est certainement spectaculaire mais ne génère en définitive que des forces doubles de celles causées par la gravité dans l’axe vertical, et des forces horizontales du même ordre de grandeur. Il ne me semble pas trop difficile de construire une grosse cuve d’acier maintenue dans un cube de béton capable de supporter ça, et c’est très probablement ce qu’on fait les japonais pour leurs réacteurs nucléaires, et il n’y a pas de raison de se priver de faire la même chose partout ailleurs.
Par contre pour un barrage, c’est plus compliqué car les grandes structures peuvent vibrer et se mettre en résonance avec les (basses) fréquences des mouvements du sol, en plus de phénomènes hydrologiques et géologiques propres au site de l’ouvrage. Et qui dit barrage plus costaud dit plus de béton (souvent barrage poids plutôt que voûte), et donc barrage plus cher…
En Suisse, un document [1] spécifie que les grands barrages doivent supporter un séisme dont la probabilité d’apparition est de 1/10’000 par an, donnée par la carte suivante :
Comme le voient ceux qui connaissent la géographie helvétique, les barrages alpins sont tous situés dans la zone pouvant subir une intensité VIII ou plus, et quelques très grands barrages comme la Grande-Dixence ou Mauvoisin sont en zone IX. Ces ouvrages auraient donc résisté de justesse à la récente secousse japonaise, mais pas à Kobe ou Haïti.
Une risque de 1/10’000 par an peut paraître faible, mais ça signifie que la probabilité d’en subir un plus élevé est inférieure à 1% par siècle, donc non négligeable quand on a plusieurs barrages qui vont durer plus d’un siècle. Que se passerait-il si lorsque l’un d’eux cédaitera ?
Le barrage du lac de Mauvoisin étant un barrage voûte, il céderait très rapidement en cas de défaillance structurelle, libérant jusqu’à 200 millions de m3 d’eau dans la vallée du Rhône située 1500 m plus bas. Energie potentielle dégagée par une telle catastrophe : 3.1015 Joules, soit environ 1 mégatonne de TNT sous la forme d’une vague de plus de 10m qui balaierait une zone habitée par environ 100’000 personnes. Un tsunami artificiel…
Références
- Georges R. Darbre, et al. « Sécurité des ouvrages d’accumulation. Documentation de base pour la vérification des ouvrages d’accumulation aux séismes », 2003, BFE (BWG) (pdf)
13 commentaires sur “Séismes et énergies”
Bonjour,
Pour la bonne forme (12 ans après !!!) : La relation présentant la valeur de l’accélération en fonction de l’intensité donne, pour I = IX, a = 338 cm/s² et non pas 1G = 981cm/s², soit en gros 3 fois moins, comme cela est indiqué dans le texte.
Juste une mention pour les barrages suisses : si l’un d’entre eux lâche, ça ne concerne « que » les gens proches.
Une centrale atomique qui fait boum peut polluer tout un continent pour des décennies.
À prendre en compte dans les calculs de risque.
Quant à Murphy, il a bon dos. Les tsunamis sont fréquents au Japon, y compris au XXè siècle (dixit la page Wikipédia sur les tsunamis) : qui a eu la brillante idée de placer une centrale juste là ? D’accord, on avait besoin d’elle là. La centrale est ancienne, était-on stupidement moins prudent en 1970 ?
La seule centrale atomique qui ait fait boum jusqu’ici n’avait pas d’enceinte de confinement et n’a pollué de façon dangereuse que quelques dizaines de kilomètres carrés, en faisant un nombre de morts très incertain, compris entre 43 selon ce rapport de l’ONU et 1’000’000 selon cette publication . On est donc assez loin de tout un continent pollué pour des décennies…
Par contre on n’est pas très loin des bilans des ruptures de barrages comme Malpasset, Vajont, voire Bangiao .
Sans pousser la mauvaise foi jusqu’à cet extrême, voilà un article qui met en perspective le risque lié aux différentes sources d’énergie :
Ok, le nucléaire (comme les barrages) cause de grosses catastrophes une fois de temps en temps, par le simple fait qu’on y utilise un gros stock d’énergie potentielle. Mais faut-il préférer des sources diluées génératrices de beaucoup de petits accidents ?
Je ne sais pas si on était « stupidement moins prudent » en 1970, mais on était certainement plus prêt à courir des risques, il suffit de rouler dans une voiture de cette époque pour le constater. Plus exactement, il me semble que (presque) toute activité humaine implique une évaluation du rapport bénéfice/risque et le compromis qui va avec. Comme on le voit dans mon article, les barrages alpins sont construits en acceptant un risque de séisme destructeur de 1% par siècle. Je ne sais pas quelle est la fréquence des tsunamis de 20m à Fukushima, mais peut-être bien qu’on était dans la fourchette de risque accepté objectivement à l’époque.
Bonjour,
Le risque d’un tsunami de 15m au japon est d’environ 1/37 ans selon les données du JMA, et d’environ 1/64ans dans la méditerranée selon les données du CSEM et de l’UNESCO…
le risque d’un séisme d’une intensité VII+ dans les 50km de Fessenheim est de 1/93ans en regroupant les données SISFRANCE, SZGRF et SED. Le dernier étant daté de 1910.
Le nombre de mort potentiellement engendré par une rupture de barrage est fixé est connu dans les 10j… contre des centaines d’années pour une centrale nuke.
Le vrai nombre de morts engendrés par le nuke sera probablement correctement estimé dans 200 à 300ans, quand nous aurons enfin dépollué + de 50% du merdier actuel… enfin espérons.
J’avais pour ma part commis deux billets sur le sujet :
http://eric.cabrol.free.fr/dotclear/index.php/?q=sismologie
Si mes souvenirs sont bons (et les quelques sources trouvées sur le net semblent le confirmer), la capacité à « anticiper » les secousses vient de la détection des ondes de compression, plus rapides mais moins destructrices (voire à peine sensibles par l’humain), qui précède l’arrivée des ondes de cisaillement responsables de la majorité des dégats.
Un dossier plutôt bien fait sur : http://eost.u-strasbg.fr/pedago/Accueil.html
Merci pour cette info détaillée! Un chose me turlupine toutefois à propos de l’échelle:
D’après ce que j’ai compris de http://fr.wikipedia.org/wiki/Moment_sismique, le modèle géologique est le suivant : tu prends une plaque de roches et tu la plies lentement en exerçant un « double couple », ce qui stocke de l’énergie potentielle comme dans un ressort. Quand la roche cède, le modèle considère que cette énergie est libérée d’un coup, ou pendant la « déchirure » des roches qui serait très rapide.
Les média Japonais utilisent principalement l’échelle d’intensité, en chiffre arabes car personne ici ne pige rien aux chiffres romains. Ce sont les premières données à sortir, quasiment en direct dès la fin du séisme. L’épicentre est localisé après une minute et encore une minute plus tard on a une estimation de la magnitude dont souvent tout le monde se fiche. Le risque de tsunami est toujours annoncé au cas où puis est écarté ou précisé dans les minutes qui suivent.
Ce que je trouve assez impressionnant, c’est la prédiction à l’avance, souvent 20-30s avant que les premières secousses soient ressenties. Vous avez une explication sur ce mécanisme ?
Pour ne rien simplifier, les japonais ont leur propre échelle d’intensité, l’échelle de Shindo qui monte beaucoup plus haut que l’échelle MSK, puisque le niveau 7 de Shindo correspond à des accélérations du sol de 4 G (!) soit XI ou XII sur une échelle MSK extrapolée …
Avez-vous une référence sur la prédiction 20-30s à l’avance ?
Malheureusement non. Je l’ai observé sur place lors du séisme de Vendredi dernier. Je ne l’avais jamais remarqué avant (ça fait 6 ans que je vis au Japon), sans doute par ce que je n’avais jamais vécu de séisme aussi puissant, mais je l’ai observé de nouveau depuis lors des répliques.
Je me disais bien que Shindo donnait des valeurs bien basse pour correspondre à votre échelle MSK. Ici on commence à s’inquiéter à Shindo 4. Les touristes sont déjà sous les tables à Shindo 3 alors que les japonais continuent à travailler comme si de rien n’était. A Tokyo, le seisme de Vendredi dernier a été ressenti entre Shindo 5 et 6.
Il m’a fallut assister à une conférence post-catastrophe sur mon campus pour comprendre comment tout cela fonctionne. Le Japon est densément maillé en sismographes et les instruments communiquent entre eux. Comme les ondes sismiques se propagent moins vite que l’information dans les réseaux (câble ? satellite ?), les zones éloignées de l’épicentre peuvent être prévenues parfois plusieurs dizaines de seconde à l’avance. En plus de ça, ce sont sûrement les ondes de compression, à propagation rapide, qui sont détectées, comme le suggère Eric C.
Le Japon fait actuellement des efforts pour mailler le plancher océaniques de sismographes et autres détecteurs de tsunami afin d’allonger encore plus le délais entre l’alerte et l’arrivée de la catastrophe.
ah oui, avec beaucoup de sismographes je veux bien croire qu’on peut « prévoir » ou plutôt anticiper de quelques secondes l’arrivée d’une onde. D’ailleurs on voit ça assez bien sur cette video:
http://www.youtube.com/watch?v=1QCcVqZgNKw
En tout cas merci beaucoup de nous faire part de votre expérience sur place. Pour ma part j’ai chaque jour une petite pensée pour ces milliers de personnes qui ont tout perdu, dont 30’000 parents, amis, voisins… Ici en Europe, la catastrophe c’est celle qui a fait 0 morts à Fukushima.