A froid, j’imaginais que la cendre abraserait les pales des réacteurs légèrement plus vite que d’habitude dans un nuage volcanique peu dense, pas de quoi fermer tout l’espace aérien européen.
Et puis j’ai lu quelque par que des F/A-18 de l’armée finlandaise avaient été très abimés la semaine passée. Une petite recherche mène à ces infos en anglais illustrées par la photo* ci-dessous:

La cendre ne fait pas qu’user les pales de la turbine, elle peut y fondre dans le réacteur et s’y re-solidifier! Sur ce forum, quelqu’un qui a l’air de s’y connaitre explique:
La cendre est en fait constituée en bonne partie de silice. Cette silice fond dans la chambre de combustion des moteurs, ce qui en fait du verre fondu, et ce liquide pâteux va gommer les injecteurs de fuel, les bougies d’allumage et, surtout, les orifices de refroidissement des aubes de turbine à haute pression, celles situées juste en aval de la chambre de combustion et qui peuvent alors fondre carrément, et elle finit par s’agglutiner sur les pales des aubes de tous les étages de turbine du moteur et réduit grandement leur efficacité (un peu comme le givrage d’une aile).
La turbine perdant de son efficacité, la puissance du moteur diminue. Le réflexe du pilote est alors d’augmenter la puissance, ce qui ne fait qu’accélérer le processus en faisant fondre davantage de cendre. Après suffisamment d’accumulation, la puissance que peut fournir la turbine devient inférieure à la force requise pour faire tourner le compresseur, qui stalle alors avec un gros boum, et le moteur s’arrête complètement.
Il y a aussi les dangers d’abrasion de la cendre. Cette abrasion peut rendre les surfaces des aubes rugueuses et leur faire perdre leur efficacité également, et pas seulement la turbine mais le compresseur également. Et il y a déjà eu un avion dont le pare-brise était devenu opaque suite à cette abrasion et l’équipage a dû sortir la tête par la fenêtre pour atterrir.
Le pare-brise dont il est question est probablement celui du vol KLM 867 d’Amsterdam vers le Japon via Anchorage, qui s’est retrouvé dans le nuage du volcan Redoubt en Alaska en 1989 :

La réparation de ce Boeing 747, y compris le remplacement de ses 4 moteurs, a coûté plus de 80 millions de $ …
En 1982, un autre Boeing 747, celui du vol BA 9 de Londres vers Auckland a vu ses 4 moteurs s’arrêter en traversant le nuage du Gallungung, au dessus de Java. L’avion a plané pendant 12 minutes avant de pouvoir relancer les moteurs et atterrir de justesse à Jakarta. L’incident est relaté dans un épisode « Falling from the sky » de l’excellente série « Mayday » disponible sur YouTube
Selon cet article de Libé :
Au cours des vingt dernières années, 80 cas d’avions pris dans des nuages de particules volcaniques ont été recensés: les cendres ont failli entraîner la perte de deux Boeing 747, avec près de 500 personnes à leur bord, et ont endommagé vingt autres appareils, avec des coûts de réparation atteignant des centaines de millions de dollars, selon des experts.
Il y a donc un risque réel, du moins quand le nuage est « assez » dense. Je me pose encore deux questions :
- à partir de quelle densité un nuage de cendres est-il dangereux pour les jets ?
- pourquoi est-il moins risqué de traverser les nuages de poussière du Sahara qui colorent régulièrement la neige des Alpes ?
Note * : à cette occasion, j’ai appris un nouveau mot : « boroscope«
11 commentaires sur “Cendres et réacteurs”
Une question que je me suis souvent posée mais à laquelle je n’ai jamais trouvé de réponse:
Dans le cas de cendres volcaniques, on trouve beaucoup de minéraux ( métaux rares divers, uranium,soufre…) . Ces matériaux, par fusion en surface des ailettes turbine (qui sont à très haute température) ne peuvent ils pas créer des eutectiques et conduire à la fusion de ces dernières ?
tout à fait d’accord avec l’analyse sur les conséquences de la transformation des silicates ou de la silice en pâte de verre dans la chambre de combustion; je pense que l’on pouvait aussi ajouter que les particules en suspension passent également dans le circuit de refroidissement des aubes de turbine à partir d’un prélèvement effectué au niveau du compresseur: elles peuvent alors obstruer les orifices de refroidissement qui ont un faible diamètre par leur taille, mais également par fusion puisque le métal des aubes ne supporte guère plus de 1000°C sans refroidissement alors que les gaz issus de la chambre atteignent des températures supérieures à 1400°/ 1500°C.
Merci Dr Goulu pour cette explication limpide, comme d’hab.
A bas la tyrannie des normes ! Voulez-vous insinuer que, par exemple, à 999 ppm on vole encore en toute sécurité et qu’à 1000 (soit 0,1% supplémentaires) on ne vole plus du tout car toute cette affaire est subitement devenue extrêmement dangereuse et risquée ? Cette manie de tout « normer » est devenue la pire plaie de notre monde : Celle de scientifiques et de politiques qui, sous le prétexte de la chose publique, veulent réduire la nature ainsi que notre existence à des équations binaires : Acceptable ou rejetable, dangereux ou inoffensif, bien ou mal, blanc ou noir, avion au sol ou en l’air… Alors pourquoi ne pas soumettre la décision finale (puisqu’il semble qu’il en faille une) aux principaux spécialistes concernés autrement dit aux commandants de bord des appareils concernés ?
Merci pour l’analyse technique intéressante au nonobstant.
J’ai mis un moment à chercher ce qui a pu vous laisser croire que je suis un fan de la normalisation et que j’insinue quoi que ce soit… J’imagine que c’est ma question « à partir de quelle densité un nuage de cendres est-il dangereux ». Alors :
1) Cette densité est une grandeur continue, variable dans l’espace et le temps, alors que la décision de faire décoller un avion est binaire : on maintient le vol, ou pas. Pour décider rationnellement, il faut donc bien à un moment ou un autre intégrer la présence d’un nuage volcanique, donc sa densité, composition etc. dans une fonction dont le résultat est oui ou non. Même si on chérit la subtilité et la nuance, il y a des fois ou on échappe pas au binaire…
2) Ensuite d’abord je ne dis pas « à partir de quelle densité faut il interdire de voler ». Nuance, justement . Personnellement, je suis plutôt de ceux qui estiment que nos autorités abusent du « principe de précaution » (poussés par des électeurs vieillissants et soucieux de sécurité) et je vous rejoins sur le fait qu’on pourrait laisser aux compagnies aériennes le choix de voler ou non en tenant compte de tous les paramètres. Mais encore faut-il connaitre ces paramètres, or on n’arrive pas à mesurer la densité d’un tel nuage à grande échelle. Vu les pertes économiques, je parie qu’on aura bientôt des satellites dédiés.
Les vols BA9 et KLM 867 l’ont échappé belle : leurs moteurs ont été détruits en quelques minutes. D’autres avions comme les FA-18 finlandais n’ont eu que de très gros frais de réparation. Partant du principe que les compagnies veulent non seulement faire voler leurs avions, mais gagner de l’argent avec les vols, j’imagine que ce n’est pas seulement la densité du nuage dangereuse pour la sécurité qui les intéresse, mais aussi celle dangereuse pour le porte-monnaie…
merci pour les explications, meme techniques, maintenant je comprends mieux et parfaitement le probleme rencontrepar les pilotes…
Quelques bouts de réponse dans cette vidéo
http://www.flightglobal.com/articles/2010/04/20/340876/ash-cloud-video-david-learmount-analyses-the-volcanic-dilemma.html
En plus de la question de la densité, je me demandais à quelle(s) altitude(s) le nuage évoluait (les deux étant liées)
Quant au vent de sable, je pencherais justement sur une explication liée à l’altitude, rapport à la distribution de masse des grains de sable que j’imagine différente de celle des cendres.
bizarrement, ces faits sortent peu ou pas d’un cercle restreint de gens du métier ou de curieux… peut être qu’avec un atterrissage en urgence d’un gros porteur, les compagnies accepteront l’idée que la précaution n’était pas forcément inutile… on peut rêver
Enfin une information claire. Merci.
L’article a été repris « à l’insu de mon plein gré » sur AgoraVox. Si j’avais su, j’aurais un peu soigné le style…