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Hier soir, lors d’un débat à la radio Suisse entre Guillaume Mathelier et Beat Kappeler, ce dernier a prétendu (après 09:22) que « La Suisse a la répartition des revenus la plus égalitaire en Europe continentale, aussi égalitaire qu’en Scandinavie », ce à quoi le maire PS d’Ambilly (Haute-Savoie) répond « on ne doit pas tout-à-fait voir la même Suisse ». Qui a raison ?
Ca tombe bien, deux nouveaux rapports de l’OCDE viennent mettre à jour les données datant de 2008 dont j’avais causé ici, et qui montraient déjà que les revenus bruts des suisses étaient les plus équilibrés de l’OCDE, et qu’après impôts les inégalités se situent au même niveau que celles de la France, un peu au dessus des modèles sociaux nordiques.
Dans « Inégalités de revenus et croissance : le rôle des impôts et des transferts » [1] on trouve cette phrase page 9:
« Les pays nordiques et la Suisse se caractérisent par une inégalité des revenus disponibles inférieure à la moyenne grâce à une faible disparité des salaires, en particulier au sommet de l’échelle… »
et ce graphique page 11 :
la Suisse est bien dans le groupe de gauche (…) avec quelques pays nordiques, la France à sa droite avec l’Italie, la Belgique et des pays de l’Est Européen. C’est donc bien Beat Kappeler qui avait raison. Pas parce qu’il est économiste comme Guillaume Mathelier l’a rappelé plusieurs fois sur un ton moqueur, mais parce qu’il connait les faits.
L’autre document [2] analyse l’augmentation des inégalités, réelle dans beaucoup de pays de l’OCDE, mais pas tous. Voici le graphique disponible dans [2.A] *
La Suisse n’y est pas représentée (je ne sais pas pourquoi), mais les données montrent qu’elle se situerait avec la France, dans le groupe des pays où les inégalités n’ont PAS notablement augmenté en plus de 20 ans.
Les pages suivantes montrent que, comme je l’avais remarqué dans un précédent article, le coefficient de Gini varie assez rapidement et donc que l’image ci-dessus doit être nuancée : plusieurs pays ont vu leurs inégalité diminuer ces dernières années. A croire que les crises économiques touchent plus les riches … Et en y réfléchissant c’est bien le cas : ni le SMIC ni la plupart des salaires n’ont baissé, alors que les actionnaires ou top managers rétribués à coups de bonus enregistrent des baisses de revenu qui peuvent atteindre 100%… Tout comme les chômeurs arrivant en fin de droits, je vous l’accorde…
Le document [2.A] relève aussi plus loin que :
Dans tous les pays de l’OCDE, les transferts publics en espèces ainsi que l’imposition du revenu et les cotisations sociales ont joué un rôle majeur dans la réduction des inégalités de revenus marchands. (…) Cet effet redistributif a été plus marqué dans les pays nordiques, en Belgique et en Allemagne, mais inférieur à la moyenne au Chili, en Corée, aux États-Unis, en Islande et en Suisse (graphique 9).
Le fameux « graphique 9 » montre exactement ce que j’avais découvert en 2008 sur « l’effet des impôts« : les revenus bruts suisses étant très égalitaires, l’impôt n’a pas besoin d’être très redistributif:
Ce document [2.A] contient une analyse poussée des effets sociaux de la fiscalité qui me paraît très intéressante. Je vais la lire en détail et y revenir le cas échéant. En attendant, je prépare ci-dessous une citation que je n’aurai plus qu’à copier-coller pour répondre à certains commentaires:
« Chacun peut avoir sa propre opinion, mais les faits sont les mêmes pour tous. » (Michael Specter)
Note * : (précision ajoutée le 14.7.12) : L’OCDE et d’autres organisations mesurent les inégalités par le coefficient de Gini, une mesure qui tient compte de tous les revenus. D’autres utilisent les « rapports inter-déciles », comme par exemple sur la page Wikipédia « inégalités de revenu en France », qui ne comparent que les 10% de revenus les plus élevés aux 10% les moins élevés, ignorant 80% de la population. Ceci explique certaines différences entre études.
Références
- OCDE 2012, « Inégalités de revenus et croissance : le rôle des impôts et des transferts », OCDE Département des Affaires Économiques, Note de politique économique, no 9, janvier 2012.
- OECD. Published by : OECD Publishing "Toujours plus d'inégalité : Pourquoi les écarts de revenus se creusent" (2012) OECD Publishing ISBN:9789264119550 WorldCat Google Books
13 commentaires sur “Encore plus d’inégalité ?”
Un livre vient de sortir à ce sujet : « Le Capital au XXIe siècle », de Thomas Piketty, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales.
Je ne l’ai pas lu mais l’ai écouté en faire le commentaire. Selon son étude, depuis les années 80, les inégalités de patrimoine s’accroissent. Il l’explique par le fait que les taux de croissance sont inférieurs au taux de rendement du capital. Ce n’était pas le cas pendant les Trente Glorieuses, qui resteront une période atypique. « 50 % des gens ne vont posséder que quelques mois de salaire devant eux, quand les 10 % les plus riches ont un patrimoine d’un million ou de plusieurs dizaines de millions », « La classe moyenne est coincée entre les 50% et les 10%. Est-ce que cette avancée va rester ? Je suis plutôt inquiet. L’augmentation des hauts patrimoines est bien plus rapide que la croissance » (respectivement 7-8% pour la hausse des gros patrimoines, contre 1-2% pour la croissance).
Selon lui, la fiscalité progressive appliquée aux revenus ne compense pas ce phénomène de dispersion.
Oui j’ai lu récemment cet article dans Libé sur lui.
Personnellement il me semble que les inégalités de revenu sont plus parlantes que celles du capital. Je peux être millionnaire en papiers qui ne vont plus rien valoir à la prochaine crise, ou en château du XVII qui me coûte la peau des fesses en entretien, idem pour une Bugatti Veyron. Je peux aussi entasser des lingots d’or comme Oncle Picsou. Et alors ? En quoi ceci menace-t’il l’équilibre de la société ? Le problème éventuel survient lorsque ce patrimoine rapporte un revenu, et ceci se traduit dans les inégalités de revenu (qui n’augmentent pas en France, pour rappel)
Taxer le capital, c’est taxer deux fois, puisque le revenu accumulé a déjà été taxé. On peut aussi dire que ceci défavoriserait les « fourmis » par rapport aux « cigales » : à revenu égal avec votre voisin, serait-il juste que vous payiez plus d’impôts parce que vous avez épargné en vous privant de vacances pour acheter une maison pour vos vieux jours alors que lui flambe tout et compte sur l’assistance sociale pour quand il ne pourra plus payer son loyer ? Je caricature, mais j’ai connu un exemple très proche.
Il me semble que les patrimoines privés sont pour beaucoup redistribués au moment des héritages (et des divorces…), déjà par la division entre enfants, mais aussi par de fortes taxes dans certains pays. En Suisse, les impôts successoraux varient entre cantons, et on a pu observer que le taux de propriétaires de leur logement diminuait dans les cantons taxant les biens immobiliers lors des héritages : les enfants n’ont aucune chance de conserver ce patrimoine. Donc ils doivent vendre et deviennent locataires de logements appartenant à leur caisse de retraite, comme ça les loyers qu’ils paient serviront à leur verser des rentes pour payer leur loyer quand ils seront vieux… Logique ?
Reste donc à savoir si en France, l’augmentation des hautes patrimoines n’est pas un peu due à la diminution des petits patrimoines…
Le seul point qui me dérange dans cet article, c’est qu’il démontre que les inégalités de revenu après redistribution n’augmentent pas, ce dont je conviens et que cela conduit le lecteur à penser que les inégalités dans une acception large sont stabilisées, ce dont je doute.
Le concept d’inégalité est flou. On peut y mettre beaucoup de choses, l’accès à un premier emploi CDI par exemple. Je ne reviens pas sur les inégalités dans la détention du capital, prenons un autre aspect, la transmission de valeurs morales. Chaque enfant a t il autant de chance qu’avant d’acquérir des valeurs qui vont l’aider à se structurer ?
Autrefois l’instituteur diffusait la morale républicaine à tous ses élèves, relayée le plus souvent par les cours de catéchisme du curé. Aujourd’hui, ces valeurs sont plus ou moins transmises par des familles de moins en moins stabilisées. Je crains que cette transmission ne s’opère d’une manière plus inégalitaire que par le passé. Je sais par contre que cela serait très difficile à mesurer.
Ce qui me fait douter c’est la montée des partis extrêmes en France. Je cherche dans cette montée une cause possible parmi d’autres : plus d’inégalités au sens large.
Tout à fait d’accord là dessus. Il est très difficile de combiner des valeurs « objectives », quantifiables en un indicateur sans y introduire un biais. J’avais écrit https://drgoulu.com/2009/05/21/unites-et-classements/ à ce sujet.
D’ailleurs, même en se limitant à l’analyse de la distribution des revenus on peut obtenir des résultats assez différents selon la méthode utilisée. Ce qui a causé mon intérêt pour ce problème est que la perception des inégalités par le grand public me parait basée sur les cas extrêmes. Il est évident que l’écart entre le PDG de multinationale et le clochard est indécent partout, mais l’alternance de reportages entre la misère et la vie des stars me semble biaiser cette perception.
C’est en écrivant https://drgoulu.com/2007/01/09/les-inegalites-saccroissent-vraiment/ que j’ai découvert l’existence de l’indice de Gini qui me parait, à moi, aux ONG et à beaucoup de gouvernements une « bonne » mesure des inégalités (de revenu, mais on peut l’appliquer à n’importe quelle distribution de valeurs numériques) dans le sens qu’elle tient compte de toutes les valeurs. De plus, l’étude de « courbe de Lorentz » sous jacente permet de déceler rapidement des tendances au niveau de la classe moyenne. Je sais que l’Office Fédéral de la Statistique Suisse le fait.
Une idée qui me trotte dans la tête depuis quelques temps est de proposer l’indice de Gini aux entreprises, qui sont réticentes à l’idée de publier les salaires versés aux managers et même à leur personnel, mais qui pourraient simplement comparer leur indice de Gini de toutes les rétributions versées à la moyenne nationale pour voir si elles accentuent les inégalités ou les réduisent.
En France, l’ISF est du à partir d’un patrimoine de 1,3 Meuros, et dans les premières tranches son taux est très faible.
Donc si on compare l’imposition des deux ménages dans mon exemple. Le locataire sans patrimoine paiera beaucoup plus d’impôt que le propriétaire, il aura un IR élevé du fait de son revenu double, et le propriétaire aura juste à payer en plus un impôt foncier de l’ordre de 1500 euros.
En terme de mesure de l’évolution des inégalités, la détention d’un patrimoine foncier a une influence très significative en France. En 20 ans, dans les grandes villes sa valeur a été multipliée par 3 alors que les revenus n’ont pas connu cette croissance. Si la redistribution compense la disparité de l’évolution des revenus elle n’affecte qu’assez peu la disparité de la propriété du patrimoine foncier des grandes villes.
sur l’ISF d’après http://fr.wikipedia.org/wiki/Imp%C3%B4t_de_solidarit%C3%A9_sur_la_fortune on paie dès 800Keuros, et les taux sont en (fraction de) pourcent, donc loin d’être « faibles » : 1 % d’une fortune c’est 30% des 3% de rendement que vous pouvez espérer ces temps-ci, et vous aviez déjà payé environ 30% aussi sur le revenu qui vous a permis de constituer cette fortune… En Suisse le taux d’imposition est entre 0.1% et 0.3% pour des millions.
Il est clair que certaines situations sont avantagées. Mais tant que j’habite un appartement, je me fiche que sa valeur ait triplé. (que je sois propriétaire ou locataire d’ailleurs). Ce que me coûte (ou me rapporte) cet appartement, c’est le loyer, qui est le prix de sa fonction comme logement. Pourquoi le propriétaire devrait-il payer un impôt supplémentaire sur une augmentation de valeur de son patrimoine sur laquelle il n’a pas prise ? ce n’est que lorsqu’il vendra son appart (ou ses enfants pour payer l’impôt de succession…) qu’il réalisera une véritable plus-value qui influera réellement sur son niveau de vie, car à ce moment là c’est un revenu.
Il y a évidemment des considérations politiques là derrière, mais taxer le patrimoine (ou le compter dans un indice d’inégalité) c’est un peu taxer les fourmis par rapport aux cigales. A revenu égal, pourquoi devrais-je payer plus d’impôts parce que j’ai épargné, investi, acheté mon logement que quelqu’un qui boucle ses fins de mois dans un pince-fesse ?
Article intéressant mais titre trompeur. Si vous vivez à Paris, il vaut mieux gagner 3000 euros et avoir hérité d’un 130 m2 que de gagner 6000 euros et de payer un loyer. Par là je veux dire que la vraie mesure des inégalités doit intégrer à la fois la mesure des revenus et celle du patrimoine. Le problème étant que les patrimoines des ménages sont peu connus et qu’ils varient.
Le titre n’est pas trompeur : il y a un point d’interrogation 😉
Comme le montre la fin de l’article et ce que j’avais déjà écrit, la distribution après impôts est (heureusement) assez différente d’avant les impôts, lesquels tiennent compte de votre patrimoine. Evidemment il devient assez difficile de comparer les pays tant les systèmes fiscaux sont différents, mais sauf erreur, si vous possédez 130 m2 à Paris, vous avez une forte probabilité de contribuer à l’ISF et d’autres produits de la créativité de Bercy…
En Suisse nous avons une chose étrange qui s’appelle l’impôt sur la valeur locative : le propriétaire qui habite son propre logement doit ajouter un loyer virtuel à son revenu, pour le mettre dans une situation fiscale comparable à un locataire.
Le coefficient de Gini peut être appliqué au patrimoine, mais que signifie-t-il vraiment ? Si je suis propriétaire d’actions qui se cassent la gueule ou d’un château en décrépitude, est-ce que je vis mieux que mon voisin au SMIC ? J’aurais tendance à dire que c’est bien le revenu du patrimoine, y compris en nature, qui pourrait être additionné au revenu du travail. Et c’est à peu près ce que fait le fisc.
Article republié sur AgoraVOX ici : http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/encore-plus-d-inegalite-119966 . Ca va peut-être chauffer plus qu’ici …
Bonjour, concernant les différentes mesures d’inégalités, il faut préciser que pour calculer un intervalle interquartiles ou interdéciles, on a aussi besoin de tous revenus… (sinon comment calculer un décile ?) Par ailleurs s’il existe des économistes qui connaissent mal les inégalités, certains les connaissent très bien…
Oui vous avez raison on a besoin de tous les revenus pour les classer en quartiles ou déciles, mais ensuite le rapport ne tient compte que de deux quartiles ou déciles, donc d’une minorité des revenus.
Je suis persuadé que les économistes (comme Beat Kappeler) connaissent bien les inégalités, ce sont hélas les politiques (comme Guillaume Mathelier) et le public qui les élit qui manque d’informations rationnelles à ce sujet.
Tres intéressant Doc Goulu, comme d’habitude :). Sur tous les graphiques, on voit le Mexique et le Chili comme les mauvais élèves de la classe parfois très en marge du reste du monde. Explications Docteur?
Les documents cités n’étudient que les pays membres de l’OCDE, pas le monde entier. Des différences géo-politiques ou historico-culturelles comme tu voudras apparaissent clairement, c’est vrai.